Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/95

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l’admiration publique et suivi de son armée victorieuse, fait son entrée dans une de nos grandes villes. Voici son char triomphal, ses trophées, ses mille bataillons tout chargés d’or, ses gardes étincelants aussi sous leurs boucliers dorés, tout un peuple couronné de laurier, autour de lui tous les princes de la terre habitée, derrière lui les nations étrangères représentées par des captifs de tout âge, avec leurs chefs, satrapes, consuls, tyrans, princes. Au milieu de cette pompe glorieuse, le triomphateur accueille tous les citoyens qui se présentent ; il leur donne le baiser, leur serre la main, leur permet de parler en toute liberté, et, en présence de tout le monde, lui-même leur parle comme à des amis, témoignant avoir fait pour eux seuls toutes ses démarches et entreprises. Enfin, introduisant ceux-ci dans son palais, il laisse ceux-là dehors : dites, quand bien même il ne les enverrait pas au supplice, combien cette ignominie dépasse-t-elle tous les supplices ! Or, s’il est si amer d’être exclus d’une telle gloire auprès d’un mortel, ne l’est-il pas bien davantage de l’être de par Dieu même, alors que le souverain Roi s’environne des puissances célestes, alors qu’il traîne et les démons enchaînés, courbés sous la honte ; et, avec eux, leur chef les mains chargées de fers, et tous ses ennemis désarmés ; alors que sur les nuées apparaissent les vertus des cieux, et Lui-même enfin !

La douleur, croyez-moi, la douleur m’accable à ce récit, à cette pensée : je ne puis achever mon discours. Apprécions quelle gloire nous allons perdre, lorsqu’il dépend de nous de conjurer cette ruine. Ce qui surtout déchire le cœur, en effet, c’est d’être ainsi frappés, lorsque nous sommes maîtres d’arrêter le coup. Encore une fois, quand le Fils de Dieu accueille les uns et les envoie auprès de son Père ; quand, au contraire, il oublie les autres, et qu’à l’instant saisis par les anges, entraînés, gémissants, courbés sous la honte, ils sont livrés en spectacle au monde entier, dites-moi, est-il plus cruel tourment ?

Travaillons donc quand il est temps encore ; préparons avec ardeur et sollicitude notre salut. Quels motifs ne pourrions-nous pas ajouter, comme ceux, par exemple, que formulait le mauvais riche ? Si vous vouliez les entendre, nous pourrions les développer pour votre plus grand intérêt : mais qui voudrait ici nous écouter ? Et le langage que nous prêterait ce misérable, bien évidemment une foule d’autres criminels viendraient le confirmer. Pour ne vous donner que cette leçon, combien de pécheurs, dans les tourments de la fièvre, se sont dits : Ah ! si la santé nous était rendue, nous ne tomberions jamais plus en de semblables maux ! Nous exprimerons nous-mêmes, au grand jour, de pareils regrets ; mais nous entendrons la réponse faite au mauvais riche : que l’abîme immense nous sépare du ciel, que nous avons ici-bas reçu notre part de bonheur.

Pleurons donc amèrement, je vous en supplie ; ou plutôt, non contents de pleurer, abordons franchement la vertu. Gémissons pour notre salut, pour ne pas gémir alors inutilement ; versons aujourd’hui des larmes, pour n’en pas verser plus tard sur nos iniquités. Pleurer dans ce monde, c’est vertu ; en l’autre, c’est regret inutile. Punissons-nous de ce côté, pour ne pas être punis de l’autre. La différence est énorme entre ces deux manières d’être châtiés ; ici-bas, vous ne l’êtes que pour un instant ; encore n’avez-vous pas même le sentiment de la peine, convaincus qu’elle vous frappe pour votre bonheur à venir. Là, au contraire, elle est bien plus cruelle la souffrance, puisqu’aucune espérance ne la console, et qu’on n’en trouve pas la fin, mais qu’elle est infinie et éternelle.

Puissions-nous, au contraire, délivrés de ce monde, conquérir l’éternel repos ! Mais comme, pour éviter d’en être exclus, nous avons besoin et de vigilance et d’une prière continuelle, veillons, je vous en supplie. La vigilance nous commandera cette prière perpétuelle, et cette prière non interrompue obtient tout de Dieu. Si, au contraire, nous ne prions pas, si nous n’agissons pas en ce sens, nous n’arriverons à rien ; comment se pourrait-il qu’on gagnât le ciel en dormant ? Absurde impossibilité. C’est déjà bien assez que nous puissions l’acquérir par une course sérieuse, par l’effort en avant, par la conformité à la mort de Jésus, comme le recommandait saint Paul ; mais si nous dormons, tout est perdu. Paul a dû dire, lui : « Si je puis l’acquérir enfin », que dirons-nous à notre tour ? Les endormis n’ont jamais achevé une affaire temporelle, bien moins encore une affaire spirituelle. Les endormis ne reçoivent rien de leurs amis eux-mêmes, bien moins