Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/481

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amassé, mais celui qui n’éprouve pas le besoin de beaucoup de choses ; le vrai pauvre n’est pas celui quine possède rien, mais celui qui convoite tout : telle est la définition de la pauvreté et de l’opulence. Si donc vous voyez quelqu’un convoiter beaucoup, tenez-le pour le plus pauvre des hommes, lors même qu’il posséderait les richesses de l’univers ; si vous voyez quelqu’un ne pas être sujet au besoin de mille et mille choses, tenez-le pour le plus opulent des hommes, lors même qu’il ne posséderait rien. C’est par les dispositions de l’esprit, et non par l’étendue des biens qu’il convient d’apprécier la pauvreté et l’opulence. Si quelqu’un était dévoré d’une soif inextinguible nous ne dirions pas qu’il se porte bien, quand même il vivrait dans l’abondance, quand même il serait entouré de fleuves et de fontaines (à quoi servirait en effet cette affluence d’eau, si la soif ne peut pas être apaisée?). Appliquons ce raisonnement aux riches. N’allons pas croire que ces gens, qui sont toujours dévorés par une insatiable convoitise, qui ont toujours soif des biens d’autrui, jouissent d’une parfaite santé d’âme ni d’une abondance réelle ! Celui qui ne peut mettre un terme à ses désirs, pourra-t-il jamais jouir en repos, lors même qu’il parviendrait à s’entourer de toutes les jouissances ? Ceux au contraire qui savent dire c’est assez qui se contentent de leur propre sort, qui ne sont pas à regarder d’un œil d’envie la prospérité d’autrui, ceux-là doivent se considérer comme les plus opulents des hommes, lors même qu’ils seraient dans la plus complète indigence. Le plus riche mortel est en effet celui qui, n’éprouvant pas le désir d’avoir ce qui appartient à un autre, se tient pour satisfait de ce qu’il possède lui-même. Mais revenons, s’il vous plaît, au sujet que nous avons entrepris : Il arriva, dit l’Évangéliste, \it, que Lazare mourut et qu’il fut emporté par les anges. (Luc. 16, 22)
Ici, je veux guérir vos âmes d’une funeste maladie : beaucoup de gens simples s’imaginent que les âmes de ceux qui périssent de mort violente deviennent des démons. Cela n’est pas ; non ! cela n’est pas. Ce ne sont pas les âmes de ceux qui périssent de mort violente, mais les âmes de ceux qui vivent dans le péché, qui deviennent des démons : je ne veux pas dire qu’elles changent de substance, mais que leur volonté imite la malice de celle des démons. Voilà ce que Jésus-Christ indiquait aux Juifs, quand il leur disait : Vous êtes les enfants du démon. (Jn. 8, 44) S’il les appelait enfants du démon, ce n’était pas qu’ils en eussent pris la nature, mais parce qu’ils en faisaient les œuvres. C’est pourquoi, le Christ ajoutait : Car vous accomplissez les désirs de votre Père. (Id) Et Jean-Baptiste encore leur disait : Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir ? Faites donc de dignes fruits de pénitence et ne pensez pas dire : « Nous avons Abraham pour père ! » La sainte Écriture a coutume de nommer lois de parenté, non pas celles qui découlent de la nature, mais plutôt celles qui viennent de la communauté de vertu ou de vice, de telle sorte qu’elle vous nomme fils ou frères de celui à qui vous ressemblez par les mœurs.
2. Mais pour quel motif le démon a-t-il fait naître cette croyance détestable ? Ce fut une tentative pour renverser la gloire des martyrs ! Comme ils sont morts de mort violente, il voulut, en répandant ce préjugé, donner d’eux une mauvaise opinion. Il n’a pas réussi, puisque les martyrs conservent encore la gloire qui leur appartient ; mais il a obtenu un autre résultat abominable : à l’aide de cette croyance, il a persuadé aux magiciens, ses serviteurs empressés, d’égorger de jeunes enfants, dans l’espoir qu’ils en feraient des démons, et qu’en retour ils en obtiendraient quelques bons offices[1]. Cela n’est pas : non ! cela n’est pas ! Mais pourquoi donc les démons disent-ils : Je suis l’âme d’un tel moine? Moi, je ne crois pas cela, précisément parce que les démons le disent. ils ne font que tromper ceux qui les écoutent.
Aussi saint Paul leur imposait-il silence, lors même qu’ils disaient vrai, de peur que, sous le couvert de la vérité, ils ne prissent occasion de mélanger le mensonge avec elle, et de se rendre dignes de foi. Et, de fait, comme les démons s’écriaient un jour : Voilà des hommes qui sont les serviteurs du Très-Haut, qui annoncent la voie du salut (Act. 16, 17), l’Apôtre indigné apostropha énergiquement cet esprit de python et lui ordonna de sortir. Et pourtant quel mal y avait-il à dire : Ces hommes sont les serviteurs du Très-Haut ? Aucun assurément. Mais, parce que la plupart des gens simples ne sauraient faire le discernement entre les choses que disent les démons, il enleva d’un seul coup à ceux-ci le droit de se faire croire. Tu

  1. Voyez la note page 167, tome 1.