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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/109

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d’eux, et viola leur loi pour y substituer la sienne. D’un autre côté comme ils n’étaient pas encore en état de comprendre la grandeur de sa mission, il était naturel qu’il se mît à leur niveau et qu’il dissimulât sa divinité en consentant à payer le tribut. « Tranquillement assis tu parlais contre ton frère. » Mais c’était pour le corriger, diras-tu.
10. Il ne fallait pas le critiquer en te cachant de lui, mais, comme le voulait le Christ, le prendre en particulier et le corriger. Les reproches publics ne font souvent que rendre les coupables plus éhontés, souvent les pécheurs, quand ils voient qu’ils peuvent le faire sans attirer l’attention, se décident facilement à rentrer dans la bonne voie, mais quelquefois aussi, quand ils savent qu’ils ont perdu l’estime générale, ils tombent dans le désespoir et se laissent aller à l’effronterie. Sans doute il t’avait fait quelque tort. Et pourquoi donc t’en faire à toi-même ? Car celui qui se venge se frappe de la même épée que sa victime. Si tu veux te rendre service à toi-même et te venger en même temps de celui qui t’a fait quelque tort, dis du bien de lui. En agissant ainsi tu lui créeras une foule d’accusateurs qui sauront bien remplir ta place, et tu recevras plus tard une belle récompense, tandis que si tu médis de lui, on ne te croira pas, on te soupçonnera d’y mettre de l’animosité, et de cette manière ton désir de vengeance se retournera contre toi. En voulant détruire sa réputation tu provoques précisément un résultat contraire, car on atteint le but que tu poursuis par la modération dans les paroles et non par la médisance. Je te le répète, faire autrement c’est arriver à un résultat tout à fait contraire : tu te couvres encore plus de honte, sans pouvoir atteindre ton rival des traits que tu lui décoches. Quand ceux qui nous entendent comprennent que c’est la haine qui nous fait parler, ils cessent d’être attentifs à ce que nous leur disons, et il se passe alors la même chose que dans les tribunaux quand se présente ce que les légistes appellent le cas d’exception : alors toute l’affaire reste suspendue. Il en est de même dans la circonstance présente, on te soupçonne de vouloir satisfaire une rancune personnelle, et ce soupçon empêche la justice de suivre son cours. Ne va donc pas dire du mal d’autrui, pour ne pas te souiller toi-même, ne salis pas tes mains à manier la boue, l’argile et la brique ; tresse plutôt des couronnes avec la rose, la violette et d’autres fleurs ; ne porte pas l’ordure dans ta bouche, comme fait l’escarbot[1] (c’est aussi ce que font les médisants qui sont les premiers victimes de leur propre infection), portes-y plutôt des fleurs, comme l’abeille, et tires-en du miel, et sois doux et affable pour tout 1e monde. Tous se détournent du médisant comme d’une bête immonde et infecte, et parce qu’à l’exemple de la sangsue qui se gorge de sang, et de l’escarbot qui se repaît d’ordure, il se nourrit des maux d’autrui, tandis que celui dont la bouche ne prononce que de bonnes paroles se voit accueilli de tous comme un membre de la famille commune, comme un véritable frère, comme un fils, comme un père. Et pourquoi parler des choses présentes et des opinions des hommes ? Songe au jour redoutable, au tribunal incorruptible, songe que si tu mens tu combleras la mesure de tes péchés. « Je vous déclare que les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole inutile qu’ils auront dite. » (Mt. 12,36) Et quand même ces paroles inutiles ne seraient pas mensongères, dit le Sauveur, même dans ce cas, vous n’échapperiez pas à la condamnation, pour avoir publié les misères de votre prochain et l’avoir couvert d’opprobre. Pensez au pharisien. Il n’était pas publicain, et cependant il devint plus coupable que le publicain, pour avoir médit du publicain. Le publicain n’était pas pharisien, et cependant il devint plus vertueux que le pharisien, parce qu’il avait reconnu ses péchés. – « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu ! ton iniquité « m’a jugé semblable à toi : je t’accuserai, je te mettrai face à face avec tes péchés (21). »
41. Voyez-vous l’ineffable bienveillance du Seigneur ? voyez-vous son infinie bonté ? Voyez-vous quel inépuisable trésor de patience ? Car silence est ici synonyme de patience. Après tous les crimes que tu as osé commettre, dit-il, je ne t’ai point puni, j’ai tout supporté, tout enduré et je t’ai donné le temps de revenir à résipiscence. Et toi, loin de profiter du répit que je t’accordais, tu es devenu encore plus pervers. Non seulement tu n’as pas changé, non seulement tu n’as pas rougi, non seulement tu ne t’es pas condamné toi-même pour les péchés que tu avais commis, mais encore tu as cru que moi qui ai montré tant de longanimité, tarit de patience, moi qui me suis tu, qui ai supporté tous tes méfaits, tu as cru que j’en agissais ainsi avec toi non par patience

  1. escarbot : Nom donné à divers coléoptères, tels que bousier, cétoine, hanneton, ténébrion.