Ce n’est pas celui qui supporte, mais c’est celui qui tait le mal, c’est celui-là qui mérite d’être puni ; il en est de même de celui qui inédit et de celui de qui on médit, pourvu que ce dernier n’ait pas donné sérieusement prise à la médisance. Ne nous préoccupons donc pas d’éviter la médisance, c’est impossible, et c’était ce que pensait le Christ, lorsqu’il disait : « Malheur à vous, lorsque les hommes diront du bien de vous ! » (Lc. 6,26), mais préoccupons-nous de ne pas lui donner prise. Celui qui veut que tout le monde dise du bien de lui s’expose à perdre souvent son âme parce qu’il aime la gloire humaine, qu’il s’entremêle de choses qu’il devrait laisser de côté, qu’il cherche à plaire là où il ne le faut pas, afin de s’attirer la bienveillance de l’un et de l’antre. Celui qui prend le contre-pied et dédaigne de s’acquérir une bonne réputation, se perd lui aussi. De même qu’il est impossible que l’homme vertueux jouisse de l’approbation universelle, de même il est impossible que l’on ne finisse point par être l’objet de la médisance universelle à force de lui prêter le flanc. Si tout en vivant de manière à n’offenser personne, vous vous trouvez en butte aux attaques des médisants, la récompense qui vous est destinée n’en sera que plus belle.
C’est ce qui arriva du temps des apôtres et du temps de ces généreux martyrs. Il faut bien que nous sachions que, si l’on nous critique pour une action que notre conscience ne nous reproche pas, nous ne devons pas pour cela faire fi du médisant, à cause du mal qu’il fait, mais nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir, sans toutefois compromettre notre salut, pour lui ôter tout prétexte même mal fondé. C’est pour cela que saint Paul faisait distribuer l’argent des aumônes aux pauvres par beaucoup de personnes, il donne la raison de sa conduite en ces termes : « Et notre dessein en cela a été d’éviter que personne ne nous puisse rien reprocher sur le sujet de cette aumône abondante, dont nous sommes les dispensateurs. » (2Cor. 8,20) Il vit qu’on allait peut-être se scandaliser, et, quoique ce fût à tort, il ne négligea ni ne méprisa ces symptômes, mais comme il ne tenait qu’à lui d’arrêter le scandale, il se préoccupa de ceux-là même, de ceux qui se scandalisaient. Ailleurs il dit : « Si donc ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai plutôt jamais de chair de toute ma vie, pour ne pas scandaliser mon frère. » (1Cor. 8,13) Ces choses n’ont aucune importance, mais du moment qu’elles occasionnent du scandale, dit-il, quand bien même il n’en résulterait pour moi aucun dommage, je ne fais pas fi du salut de ceux qui se scandalisent. Mais si le dommage qu’il te cause avait plus d’importance que son salut, fais fi de celui qui se scandalise ; dans le cas contraire, n’en fais pas fi. Telle devait être notre règle générale de conduite, savoir quand il faut mépriser ceux qui se scandalisent et quand il ne faut pas les mépriser. Par exemple, les Juifs se scandalisaient de ce que saint Paul n’observait pas leur loi, il en résultait que des milliers de personnes abandonnaient la loi de Dieu et n’avaient plus qu’une foi douteuse. Que fait-il donc ? Voulant remédier au scandale (car le salut de tant de personnes l’emportait sur toute autre considération), voulant aussi rétablir la foi ébranlée et chancelante, il ne se pressa point de faire savoir qu’il n’observait pas la loi, et il réussit, ce qui était le point le plus important. Ils se scandalisaient encore de ce qu’il prêchait au nom du Crucifié, mais dans cette circonstance, il ne tint aucun compte de ceux qui se scandalisaient, car les avantages qu’il retirait de cette prédication étaient plus importants que tout le reste. (1Cor. 1,23) C’est ainsi qu’agit le Christ. Comme il s’entretenait avec les mêmes Juifs de leur genre de nourriture et qu’ils se scandalisaient de ce qu’il avait dit : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais c’est ce qui sort de la bouche de l’homme qui le souille (Mt. 15,11) », il répondit : « Laissez-les, toute plante que mon Père céleste n’a point plantée sera arrachée. » (Id. 13) Une autre fois comme ils lui demandaient de payer le tribut, quoiqu’il sût qu’il ne devait pas le payer, il pensa que la circonstance n’exigeait pas qu’il révélât sa majesté et dit : « Afin que nous ne les scandalisions point, allez-vous-en à la mer, et jetez votre ligne, et le premier poisson que vous tirerez de l’eau, prenez-le et lui ouvrez la bouche, vous y trouverez une pièce d’argent de quatre drachmes que vous prendrez et que vous leur donnerez pour moi et pour vous. » (Mt. 17,26) Comme il apportait aux Juifs sa loi si pleine de sagesse et qu’il les voyait livrés à un aveuglement incurable, il cessa naturellement de se préoccuper
Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/108
Apparence
Cette page n’a pas encore été corrigée