il ne faudrait pas compromettre le salut de votre âme pour soulager votre corps, non seulement votre douleur n’est pas diminuée, mais elle en devient plus forte. Car aussitôt que le diable voit qu’il a pu vous amener à blasphémer, il rend plus ardent le feu qui vous brûle, plus cuisante votre peine, afin de vous faire assouvir sa soif du mal. Donc, je le répète, quand même le blasphème vous soulagerait, il faudrait vous en abstenir. Mais puisqu’il ne sert de rien, à quoi bon vous tuer vous-même ? Impossible de se taire, direz-vous ? – Rendez grâces à Dieu, comblez-le de gloire et d’honneur, tandis qu’il vous éprouve par le feu de la souffrance. Qu’à la place des blasphèmes, les louanges du Seigneur sortent de votre bouche, ce sera le moyen tout à la fois de mériter une grande récompense et d’adoucir vos maux. Écoutez encore notre bienheureux de tout à l’heure disant à Dieu : « Le Seigneur m’avait tout donné, le Seigneur m’a tout ôté (Job. 1, 21) ; » et encore : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, pourquoi n’en recevrions-nous pas aussi les a maux ? » (Job. II, 40) Mais, répondez-vous, je n’ai pas reçu les richesses en partage. Alors votre blessure est moins profonde d’autant. Car il n’y a pas de comparaison entre ne plus rien posséder après avoir été riche et vivre dans la pauvreté où l’on a toujours été. Si en voyant les maux des autres et en les comparant avec leurs infortunes, beaucoup de pauvres se croient plus malheureux par ce rapprochement ; quand il ne s’agit plus des autres, mais qu’on compare le présent avec le passé, la douleur est d’autant plus grande que la jouissance d’autrefois fait ressentir plus vivement la privation actuelle. Ainsi est-il moins pénible de n’avoir jamais eu d’enfants que d’en avoir pour les perdre ensuite. Car autre chose est de n’avoir rien reçu, autre chose d’être privé de ce qu’on possédait. Supportez donc avec courage tout ce qui vous arrive, c’est là un vrai martyre. En effet, le refus de sacrifier aux idoles, fallût-il souffrir la mort, n’est pas la seule chose qui fasse le martyre ; on peut également en mériter la palme en supportant avec patience une grande douleur qui nous porte à blasphémer et en s’abstenant de toute parole inconvenante. Job ne fut pas couronné mur avoir refusé de sacrifier, mais pour avoir enduré courageusement ses douleurs et ses amertumes, Paul ne fut-il pas proclamé vainqueur à cause des verges, des tourments et des autres persécutions qu’il souffrit avec actions de grâces ? « Vous mangerez en paix le fruit des travaux de vos mains ; vous êtes heureux et tout vous réussira heureusement (2). »
Pourquoi avoir répété le mot « heureux ? » Parce que le Psalmiste, connaissant toute la grandeur de cette expression, s’arrête avec complaisance pour la méditer. Que signifie cet « heureusement ? » – « Votre épouse sera comme une vigne fertile appuyée sur les côtés de votre maison (3). » Une autre leçon porte : « Votre femme sera dans le secret », ou bien, « dans le lieu le plus retiré de votre maison, comme une vigne qui porte beaucoup de fruits. Vos enfants seront autour de votre table, comme de jeunes oliviers autour de a l’arbre qui les a produits. C’est ainsi que sera béni l’homme qui craint le Seigneur (4). »
Que dites-vous de ce bonheur, de ces avantages ? L’abondance intérieure, la paisible jouissance de ces travaux, une épouse, une multitude d’enfants ? Ce n’est point là le bonheur promis par le Prophète. Ce n’est qu’un accessoire, un surcroît, selon ce mot de saint Luc : Cherchez avant tout le royaume de Dieu et tout le reste vous sera donné comme par « surcroît. » (Lc. 12,31) Comme le Psalmiste s’adressait à des âmes encore faibles, il les élève comme des enfants par la comparaison des choses sensibles. Et n’en soyons point surpris. Si saint Paul, malgré la sublimité de ses enseignements, emploie ce langage avec ceux qui rampaient encore à terre, à plus forte raison le Prophète devait le faire. Est-ce bien vrai pour saint Paul ? – Très-souvent même. Ainsi quand il traite de la virginité, il ne dit mot des avantages réservés à ceux qui la garderont, mais il parle simplement de l’affranchissement des ennuis du mariage. Et quand il s’agit du respect des enfants pour leurs parents, il en use de même, disant « que c’est le premier des commandements auxquels Dieu ait promis une récompense. » (Eph. 6,2) Et quels sont les termes du précepte ? « Honore ton père et ta mère et tu auras une longue vie en ce monde. » Et quand il écrit sur la conduite à tenir envers ses ennemis, il propose encore une récompense sensible, « agissant de la sorte, dit-il, « vous amasserez des charbons de feu sur sa tête. » (Rom. 12,20)
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