Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 8, 1865.djvu/455

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vêtements (4) ». Remarquez, mes frères, jusqu’où va l’humilité du divin Sauveur : il ne la borne point à laver les pieds de ses disciples, mais il l’étend aussi à bien d’autres choses ; car, c’est après s’être assis, après que tous s’étaient assis, qu’il se leva de table. Ensuite, non seulement il lava leurs pieds, mais il quitta ses vêtements. Et il ne se contenta pas de cela, mais il mit un linge autour de lui, et ce ne fut pas encore assez pour lui ; il remplit lui-même le bassin d’eau, et ne le donna point à un autre à remplir. Il fait tout lui-même ; en quoi il montre et nous apprend que, quand nous faisons ces petites choses en manière de bonnes œuvres, nous ne les devons point faire négligemment ni par manière d’acquit, mais avec beaucoup de zèle.

Il me semble que Jésus-Christ lava premièrement les pieds de Judas, d’après ce que dit l’évangéliste : « Jésus commença à laver les pieds de ses disciples (5) », et sur ce qu’il ajoute : « Il vint à Simon Pierre ; qui lui dit : « Quoi ! vous me laveriez les pieds (6) ? » Avec ces mêmes mains, dit-il, avec lesquelles vous avez ouvert les yeux des aveugles, vous avez guéri les lépreux, vous avez ressuscité les morts ? Ces paroles ont un grand, sens et une grande force. C’est pourquoi il n’a eu besoin que de ce mot : Vous, qui seul exprime et signifie tout.

On peut ici justement demander pourquoi nul n’a fait de difficultés, si ce n’est Pierre seul, quand cette résistance n’eût pas été un médiocre témoignage d’amour et de respect quelle en est donc la raison ? Il me semble que le Sauveur commença par laver les pieds du traître, avant de venir à Pierre, et que les autres après furent avertis. Car par ces paroles : « Il vint donc à Pierre », il est visible que Jésus ne lava les pieds d’aucun autre avant ceux de Judas. Mais l’évangéliste n’est pas un violent accusateur ; il se borne à une insinuation, en disant : « Il commença ». Quoique Pierre fût le premier, il y a toute apparence que le traître, qui était hardi et effronté, s’assit avant son chef. Et, en effet, son insolence s’était déjà fait connaître par d’autres traits, comme lorsqu’il mit la main au plat avec son Maître (Mt. 26,23), et lorsqu’ayant été repris de ses vices, il n’en fut point touché de componction : bien différent de Pierre, qu’une seule réprimande que lui avait faite son Maître longtemps auparavant, pour lui avoir indiscrètement parlé, quoique par un excès d’amour, retint et intimida si fort, qu’ayant quelque chose à lui demander dans la suite, il n’osa lui-même l’interroger, et dans sa crainte s’adressa à un autre. Mais le traître Judas fut souvent réprimandé, et il ne le sentit, et il ne s’en aperçut même pas.

« Jésus étant donc venu à Pierre, Pierre lui dit : Quoi ! Seigneur, vous me laveriez les pieds ? Jésus lui répondit : Vous ne savez pas maintenant ce que je fais, mais vous le saurez ensuite (6, 7) », c’est-à-dire, vous ne connaissez pas le fruit, l’utilité, l’abondante instruction qui revient de cet exemple, ni à quelle humilité il peut porter les hommes. Que répondit Pierre ? Il résiste, il s’oppose encore, et il dit. « Vous ne me laverez jamais les pieds (8) ». Pierre, que faites-vous ? Vous ne vous souvenez pas de ce que vous a déjà répondu votre Maître, lorsque vous lui avez dit : « Épargnez-vous à vous-même tous ces maux[1] ? » (Mt. 16,22) N’avez-vous pas ouï qu’il vous a répondu : « Retirez-vous de moi, Satan ? » (Id. 23) Vous ne vous corrigez pas, et vous vous laissez encore aller à votre humeur vive et bouillante ? Oui, dit-il, car ce que je vois m’étonne et me surprend prodigieusement. Mais Jésus-Christ reprend encore Pierre, et, pour cela, il se sert justement du violent amour qui lui suggérait cette résistance. Comme donc la première fois il lui fit une forte réprimande et lui dit : « Vous m’êtes un sujet de scandale » (Mt. Id) ; de même à présent il lui parle en ces termes « Si je ne vous lave, vous n’aurez point de part avec moi ». Que répond donc cet homme vif et bouillant ? « Seigneur, non seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête (9) ». Il est prompt, il est vif dans sa résistance, il est encore plus vif et plus prompt dans sa soumission. Mais l’un et l’autre part de son amour.

Mais pourquoi Jésus-Christ ne lui a-t-il pas expliqué la raison qu’il avait de laver ainsi les pieds, et lui a-t-il fait des menaces ? Parce qu’autrement Pierre n’aurait point obéi. Si Jésus-Christ avait dit : Laissez-moi faire, je vous apprendrai par cette action à être humble, Pierre aurait mille fois protesté qu’il serait humble, pour empêcher le Seigneur de s’humilier à ce point. Mais maintenant, que dit Jésus-Christ ? Il le menace de ce que Pierre

  1. Dans la traduction de ce passage je suis la force du terme grec.