5. Et certes, nous le voyons de nos yeux, ce prodigieux changement : ces disciples, qui étaient auparavant si timides et si craintifs, ayant dans la suite reçu le Saint-Esprit, se jetaient au milieu des périls, des épées, des bêtes féroces, des mers, et s’exposaient hardiment à toutes sortes de supplices ; des gens sans littérature ni étude, des hommes du commun du peuple parlaient avec tant de constance et de fermeté, qu’ils étonnaient leurs auditeurs. (Act. 4,13) En effet, de boue qu’ils étaient auparavant, l’Esprit-Saint les rendit de fer, en fit des aigles, et ne permit pas que rien d’humain fût capable de les renverser.
Telle est la grâce de l’Esprit-Saint : telle est sa force et son efficace. Si dans un cœur elle trouve de la tristesse, elle la dissipe ; si elle y trouve de mauvais désirs, elle les consume et les éteint. Elle bannit la pusillanimité, et ne soutire pas que nous ayons désormais la moindre crainte, mais elle nous élève jusqu’au ciel, pour ainsi dire, en rendant toutes les choses célestes présentes à nos regards. Voilà pourquoi les disciples disaient qu’ils n’avaient rien (Act. 2,41 et suiv) : voilà pourquoi ils possédaient toutes choses en commun, ils persévéraient dans les prières avec joie et simplicité de cœur : c’est là surtout ce que demande le Saint-Esprit. Car « les fruits de l’Esprit sont la joie, la paix, la foi, la douceur ». (Gal. 5,22)
Cependant, direz-vous, souvent les hommes spirituels sont dans la tristesse : mais cette tristesse est plus douce et plus agréable que la joie. Caïn a été attristé, mais la tristesse qu’il a eue était toute mondaine. Paul aussi a été attristé, mais la tristesse qu’il a eue a été selon Dieu. Tout ce qui est spirituel produit de grands biens ; tout ce qui est terrestre cause de très-grands dommages.
Attirons donc sur nous, mes frères, la grâce invincible et toute-puissante du Saint-Esprit. Nous l’attirerons en nous par l’observation des commandements, et nous ne serons en rien inférieurs aux anges ; les anges, quoiqu’incorporels, ne sont point invincibles ; s’ils l’étaient, aucune nature incorporelle n’eût été méchante. Mais partout, et parmi les anges comme parmi les hommes, la volonté et le libre arbitre sont la cause du dérèglement et de tous les désordres. Voilà pourquoi, parmi même les natures incorporelles, il s’en est trouvé de pires et de plus méchantes que les hommes, et que les brutes mêmes[1]. Voilà pourquoi, parmi les natures corporelles, il s’en est trouvé plusieurs meilleures que les incorporelles. Tous les justes habitaient la terre, vivaient dans des corps, quand ils ont fait leurs bonnes œuvres ; c’est qu’ils habitaient la terre comme étrangers, et le ciel comme citoyens.
Ne dites donc pas : Je suis environné de chair, je ne puis vaincre, je ne puis entreprendre des travaux pour la vertu : gardez-vous d’accuser le Créateur ; si la chair rend la vertu impossible, nous ne sommes point coupables ; mais que la chair ne rend point la vertu impossible, la multitude des saints le démontre visiblement. La nature charnelle n’a point empêché Paul d’être aussi grand et aussi vertueux qu’il l’a été, ni Pierre de recevoir les clefs du ciel. Enoch, malgré la chair dont il était revêtu, a été transporté et n’a plus reparu. Élie a aussi été enlevé de même en dépit de la chair ; Abraham, Isaac et Jacob ont brillé dans la chair ; Joseph, revêtu d’une chair, a vaincu une femme impudique. Et que dis-je, la chair ? Les chaînes mêmes qui peuvent la garrotter ne sont point un obstacle. « Encore que je sois dans les chaînes », dit saint Paul, « la parole de Dieu n’est point enchaînée ». (2Tim. 2,9) Mais, que dis-je encore, les liens et les chaînes ? Ajoutez encore les prisons, les clefs et les verrous, rien de tout cela n’est un obstacle à la vertu : l’apôtre nous l’apprend par son exemple. Le lien qui lie l’âme, ce n’est point une chaîne de fer, c’est la crainte, c’est le désir des richesses, et une infinité d’autres maladies. Voilà ce qui nous enchaîne, notre corps fût-il en liberté.
Mais, direz-vous, ces maladies, ces sortes de chaînes, c’est le corps qui les produit : frivoles excuses, vains prétextes. Si ces maladies venaient du corps, tous en seraient infectés. Comme nous ne pouvons éviter la lassitude, le sommeil, la faim, la soif, parce que ces choses sont naturelles ; de même, si ces sortes de maladies étaient véritablement telles que vous le prétendez, personne ne serait exempt de leur tyrannie. Que si plusieurs s’en garantissent, il est évident que ces vices naissent de la lâcheté de l’âme. Arrachons-les donc, et n’accusons point la chair, mais soumettons-la à l’empire de l’âme, afin que, l’ayant accoutumée