Page:Chtchédrine - Trois contes russes.djvu/63

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tout ce pauvre monde qui travaillait sans relâche du matin au soir dans la pluie et dans la boue pour gagner deux copecks. Il ne songeait plus au bien d’autrui. Loin de là, sa bourse lui devenait à charge depuis qu’il se rendait compte qu’elle contenait non pas son argent, mais celui du prochain.

« Voici quinze copecks, mon ami, dit-il à un paysan en lui donnant de l’argent.

— Pourquoi me donnes-tu cela, grand nigaud ?

— C’est comme dédommagement pour mes injustices d’autrefois. Pardonne-les-moi pour l’amour de Dieu.

— Eh ! que Dieu te pardonne ! »

Il parcourut ainsi tout le marché en distribuant tout son argent. La chose faite, il se sentit sans doute soulagé d’un grand poids ; néanmoins il devint extrêmement pensif.