Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/338

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L’IMPOSITION ET L’ACHAT DES BLÉS. Que prouve une inconséquence aussi manifeste, aussi honteuse ? Une seule idée se présente nécessairement à nous, c’est que les Nétiniens ne lui ont pas donné la somme qu’il demandait, ou qu’il a voulu faire sentir aux Mamertins qu’ils avaient bien placé leur argent et leurs présents, puisque avec les mêmes droits, les autres n’obtenaient pas la même faveur. Et cet homme osera se prévaloir encore de l’éloge des Mamertins ? Qui de vous ne voit pas sous combien de rapports cet éloge même lui devient fatal ? D’abord, un accusé qui ne peut produire en sa faveur les témoignages de dix villes, fait plus pour son honneur, de n’en présenter aucun que de ne pas compléter le nombre prescrit par l’usage. Or, Verrès, de tant de villes que vous avez gouvernées pendant les trois années de votre préture, le plus grand nombre vous accuse ; quelques-unes, et ce sont les moins considérables, quelques-unes se taisent parce qu’elles n’osent se plaindre ; une seule vous loue : n’est-ce pas assez nous dire que vous sentez le prix d’un véritable éloge, mais que votre conduite dans l’administration de la province vous a nécessairement enlevé cet avantage ? En second lieu, et j’en ai déjà fait l’observation, quelle idée peut-on avoir de cet éloge, quand les chefs de la députation déposent que la ville vous a fait construire un vaisseau, et qu’eux-mêmes personnellement ont été victimes des vexations les plus atroces ? Enfin lorsque, seuls de tous les Siciliens, ils louent votre conduite, que prouvent-ils ? que vous les avez gratifiés de tout ce que vous ôtiez à la république. Citez dans l’Italie entière une colonie, une ville municipale, quelque privilégiée qu’elle puisse être, qui, dans ces dernières années, ait joui d’autant d’exemptions que les Mamertins durant toute votre préture. Seuls, ils n’ont point fourni ce qu’ils devaient aux termes mêmes de leur traité ; seuls, ils ont été affranchis de toute charge ; seuls, on les a vus ne rien donner au peuple romain, ne rien refuser à Verrès.

XXIII. Mais c’est avoir trop longtemps perdu la flotte de vue. Vous avez, malgré les lois, reçu un vaisseau des Mamertins ; et, malgré les traités, voies les avez exemptés d’un vaisseau. C’est avoir été doublement prévaricateur à l’égard d’une seule ville, d’abord en lui faisant remise de ce qu’il fallait exiger, ensuite en recevant ce qu’il ne vous était pas permis d’accepter. Votre devoir était d’exiger un vaisseau pour combattre les pirates, et non pour transporter vos rapines ; pour empêcher que la province ne fût dépouillée, et non pour enlever les dépouilles de la province. Les Mamertins vous ont fourni une ville pour y rassembler tout votre butin, et un vaisseau pour l’emporter de la Sicile. Messine a été l’entrepôt de vos brigandages ; ses habitants en ont été les confidents et les gardiens ; ils ont recélé la proie, et donné les moyens de la conduire à Rome. Aussi, lorsque vous eûtes perdu votre flotte par votre avarice et par votre lâcheté, vous n’osâtes pas requérir le vaisseau qu’ils devaient, que même, sans le devoir, ils auraient accordé aux besoins pressants de la république et aux malheurs de la province. Mais ce magnifique Cybée donné au préteur, au détriment du peuple romain, ne vous laissait ni le droit de commander ni la