Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/339

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hardiesse de prier. Les droits de l’empire, les secours qui nous étaient dus, qu’ils nous avaient constamment fournis, que les traités nous assuraient, tout cela est devenu le prix du Cybée. Vous voyez les ressources que nous pouvions espérer d’une ville puissante, perdues pour nous et vendues au profit du préteur. Connaissez à présent une nouvelle invention de Verrès dans l’art du vol et de la rapine.

XXIV. C’était l’usage que chaque cité remît au capitaine de son vaisseau l’argent nécessaire pour le blé, pour la paye et les autres frais d’entretien. La crainte d’être accusé par les matelots était un frein pour cet officier. D’ailleurs il était tenu de rendre compte : il ne trouvait dans cette fonction que de la peine et des dangers. Tel était l’usage observé de tout temps, non seulement dans la Sicile, mais dans toutes les provinces, même chez nos alliés latins, lorsqu’ils nous servaient comme auxiliaires. Verrès est le premier, depuis la fondation de Rome, qui ait ordonné que cet argent lui serait remis par les villes, et que l’emploi en serait confié au préposé qu’il aurait choisi. On voit clairement pourquoi, le premier de tous, il a changé l’ancien usage ; pourquoi il a négligé l’avantage qu’il trouvait à laisser à d’autres l’emploi de ces fonds ; pourquoi il s’est chargé d’une multitude de soins et de détails qui ne pouvaient que l’exposer aux reproches et aux soupçons. Et remarquez combien d’autres profits encore il savait tirer de cette seule partie de l’administration. Recevoir de l’argent des villes pour ne pas fournir des matelots, vendre aux matelots des congés à prix fixe, garder pour lui la paye de ceux qu’il avait licenciés, ne rien donner à ceux qui restaient ; voilà ses opérations de finances, et voilà ce que prouvent les dépositions des villes : on va vous en faire lecture. DÉPOSITIONS DES VILLES.

XXV. Quel homme ! quelle impudence ! quelle audace ! Taxer les villes en raison du nombre de soldats ! fixer à six cents sesterces[1] les congés des matelots ! Quiconque en achetait était dispensé du service. Mais ce que la ville payait pour le blé de cet homme, Verrès en faisait son profit. Ainsi chaque congé lui procurait un double gain ; et c’était au moment où les pirates inspiraient tant d’effroi, où tant de dangers menaçaient la province, qu’il faisait ces honteux marchés avec une telle publicité, que les pirates eux-mêmes en étaient instruits, et que toute la province en était témoin. Ainsi donc son insatiable avarice n’avait laissé en Sicile qu’un fantôme de flotte, c’est-à-dire, quelques vaisseaux vides, plus propres à porter le butin du préteur qu’à réprimer les efforts des pirates. Cependant Césétius et Tadius, qui étaient en mer avec dix de ses vaisseaux mal équipés, prirent, ce n’est pas le mot, emmenèrent un vaisseau des pirates hors d’état de se défendre, et presque submergé par le butin dont il était chargé. Il portait un grand nombre de jeunes esclaves d’une belle figure, une immense quantité d’argenterie, d’argent monnayé, d’étoffes précieuses. Ce seul vaisseau fut pris, ou pour mieux dire, fut trouvé par notre flotte, dans les eaux de Mégaris, non loin de Syracuse. La nouvelle en arrive à Verrès. Il était alors sur le rivage, étendu ivre au milieu de ses femmes. Il se réveille, et, sans perdre de temps, il envoie à son questeur et à son lieutenant des hommes af-

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