Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/341

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tème à lui. Il a mieux aimé garder ce chef en prison que de le frapper de la hache. Or, dans quelle prison, chez quels peuples, de quelle manière ce chef a-t-il été gardé ? Vous avez tous entendu parler des Latomies de Syracuse ; plusieurs de vous les ont vues. Cette carrière immense, prodigieuse, ouvrage des rois et des tyrans, a été tout entière taillée dans le roc, et la main des hommes l’a creusée à une profondeur effrayante. Il est impossible de construire, d’imaginer même une prison aussi exactement fermée, aussi forte, aussi sûre. On y conduit, même des autres villes de la Sicile, tous les prisonniers dont le gouvernement veut s’assurer. Comme Verrès avait entassé dans ces Latomies un grand nombre de citoyens romains, et qu’il avait donné l’ordre d’y jeter les autres pirates, il sentit que, s’il y faisait entrer l’homme qu’il substituait au véritable chef, la supercherie serait bientôt découverte. Ainsi donc cette prison et si forte et si sûre ne l’est pas assez pour lui. D’ailleurs Syracuse entière lui est suspecte. Il éloigne cet homme ; mais où l’envoie-t-il ? à Lilybée peut-être ? En ce cas, il n’est donc pas vrai qu’il redoute si fort les gens de mer. Mais ce n’est pas à Lilybée ; c’est donc à Palerme ? à la bonne heure. Toutefois je pourrais observer que le pirate ayant été pris dans les dépendances de Syracuse, il devait être exécuté, ou du moins détenu à Syracuse. Au surplus, ce n’est pas encore à Palerme. Où donc enfin ? Chez les hommes qui sont le plus à l’abri des pirates, le moins à portée de les connaître, chez des hommes tout à fait étrangers à la mer et à la navigation, chez les Centorbiens, placés au milieu des terres, uniquement occupés du labourage, qui de leur vie n’avaient craint les pirates, et qui, sous la préture de Verrès, n’ont redouté que les courses d’Apronius, ce fameux écumeur de terre ferme. Afin que personne n’ignore qu’il a tout fait pour engager le faux pirate à bien jouer son rôle, il ordonne aux Centorbiens de lui fournir en abondance tous les besoins et toutes les commodités de la vie.

XXVIII. Cependant les Syracusains qui ont de l’usage et de l’esprit, qui savent fort bien voir ce qu’on leur montre et deviner encore ce qu’on leur cache, tenaient un registre exact des exécutions qui se faisaient chaque jour. Ils calculaient le nombre des pirates d’après la grandeur du vaisseau pris et la quantité des rames. Verrès avait mis à l’écart tous ceux qui avaient de la figure et des talents. Faire exécuter tous les autres à la fois, comme c’est l’usage, c’était s’exposer à une réclamation universelle, lorsqu’on verrait qu’il en manquait plus de la moitié. Il prit le parti de les envoyer au supplice en détail, et en des temps différents. Mais dans une ville aussi peuplée, il n’était personne qui ne tînt un registre fidèle ; tous savaient combien il en restait encore ; ils les demandaient, et même avec importunité. Dans cet embarras, cet homme abominable imagina de substituer aux pirates, qu’il avait retirés chez lui, les citoyens romains dont il avait rempli la prison. À l’entendre, les uns étaient des soldats de Sertorius, qui avaient abordé en Sicile, lorsqu’ils fuyaient d’Espagne ; les autres qui avaient été pris par les pirates, pendant qu’ils naviguaient pour leur commerce, ou pour d’autres affaires, s’étaient, disait-il, volontairement associés aux pirates. Les