Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/340

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fidés pour que tout lui soit présenté le plus tôt possible et sans aucune distraction.

Le vaisseau aborde à Syracuse : l’impatience est générale ; on jouit d’avance du supplice des prisonniers ; mais lui, qui dans cette prise ne voit qu’une proie qu’on lui amène, ne répute ennemis que les hommes vieux ou difformes. Il met en réserve tous ceux qui ont de la figure, de la jeunesse ou des talents. Il en distribue quelques-uns à ses secrétaires, à son fils, à ses favoris. Six musiciens sont envoyés à Rome, à un de ses amis. Toute la nuit se passe à vider le vaisseau. Mais personne ne voit le chef des pirates, qu’il était de son devoir de livrer au supplice. Aujourd’hui tous les Siciliens pensent, et vous pouvez vous-mêmes conjecturer ce qui en est, que Verrès a reçu de l’argent des pirates pour sauver leur chef.

XXVI. La conjecture est permise, et de bons juges ne peuvent rejeter des soupçons aussi bien fondés. Vous connaissez le personnage : vous savez l’usage de tous les autres généraux. Quand ils ont pris un chef de pirates ou d’ennemis, avec quel plaisir ils le livrent aux regards publics ! Cette fois-ci, les Syracusains accoururent avec l’empressement ordinaire : tous les yeux cherchaient ce pirate, tous désiraient le voir. Eh bien ! citoyens, parmi cette foule immense de curieux, je n’ai trouvé personne qui m’ait pu dire, Je l’ai vu. Par quelle fatalité cet homme a-t-il été si bien caché que personne ne l’ait aperçu, même par hasard ? Les marins de Syracuse qui l’avaient entendu nommer tant de fois, que tant de fois il avait fait trembler, qui se promettaient d’assouvir leur haine et de repaître leurs yeux du spectacle de son supplice, ne sont pas même parvenus à le voir.

P. Servilius a pris lui seul plus de pirates que tous les généraux qui l’avaient précédé. Refusa-t-il jamais à personne le plaisir de voir un pirate dans les fers ? Au contraire, partout où il passait, il offrit aux regards des peuples cette longue suite d’ennemis enchaînés. Aussi l’on accourait de toutes parts ; et non seulement des villes qui se trouvaient sur la route, mais de tous les lieux circonvoisins, on s’empressait pour jouir de ce spectacle. Et pourquoi son triomphe a-t-il été, pour le peuple romain, le plus flatteur et le plus agréable de tous les triomphes ? C’est qu’il n’y a rien de plus doux que la victoire, et qu’il n’est point de preuve plus irrécusable de la victoire, que de voir chargés de chaînes et conduits au supplice des ennemis qu’on a longtemps redoutés.

Et vous, pourquoi ne pas agir de même ? pourquoi soustraire ce pirate, aux yeux de tous, comme si l’on n’eût pu le regarder sans offenser les dieux ? pourquoi ne pas l’envoyer au supplice ? dans quel dessein le gardiez-vous ? Jamais un chef de pirates a-t-il été pris en Sicile, sans que sa tête soit tombée sous la hache ? Citez un seul fait qui vous excuse ; produisez un seul exemple. Peut-être vous conserviez ce pirate vivant, afin de le conduire devant votre char, le jour de votre triomphe. En effet, après la perte d’une aussi belle flotte et la dévastation de la province, il ne restait plus qu’à vous décerner le triomphe naval.

XXVII. Eh bien, soit ; Verrès s’est fait un sys-