Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/106

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un accusé n’a pas manqué aux juges, ni un accusateur au coupable.

II. Quant à moi, s’il faut l’avouer, juges, quoique C. Verrès m’ait tendu et sur terre et sur mer bien des embûches, évitées en partie par ma vigilance, en partie repoussées par le zèle et par les bons offices de mes amis, jamais je ne me suis cru en aussi grand danger, jamais je n’ai éprouvé autant de crainte, que dans ce procès.

Ni l’attente où l’on est de mon accusation, ni cette immense multitude qui se prépare à m’entendre, et dont l’aspect seul me cause une si vive émotion, ne m’effrayent autant que les embûches criminelles que cet homme nous dresse en même temps à moi, à vous, à M. Glabrion, notre préteur, à nos alliés, aux nations étrangères, à cet ordre et au nom de sénateur, lorsqu’il dit à qui veut l’entendre que ceux-là doivent craindre, qui n’ont volé que ce qui suffisait pour eux seuls ; mais que ses rapines, à lui, peuvent suffire à plusieurs ; qu’il n’y a rien de si pur qu’on ne puisse corrompre, de si bien fortifié qu’on ne puisse forcer avec de l’argent. Si, du moins, il était aussi discret dans sa conduite qu’il est audacieux dans ses entreprises, peut-être serait-il parvenu à nous tromper en quelque chose. Mais, par bonheur, son incroyable audace est accompagnée de la plus étrange imprudence ; et de même qu’il prenait jadis ouvertement l’argent de tout le monde, aujourd’hui, plein de l’espérance qu’il a de corrompre ses juges, il publie lui-même ses projets et ses tentatives. Il dit n’avoir jamais tremblé qu’une fois en sa vie, le jour où je le dénonçai, parce qu’à peine arrivé de son gouvernement, avec la réputation déjà ancienne du plus odieux des hommes, il ne trouvait pas alors le moment favorable pour corrompre ses juges. Aussi, comme j’avais demandé un temps fort court pour mon enquête en Sicile, lui, de son côté, trouva quelqu’un qui demandait deux jours de moins pour l’Achaïe — non qu’il voulût faire par sa diligence et son habileté ce que je suis parvenu à faire par mes travaux et mes veilles ; car cet accusateur prétendu n’alla pas même jusqu’à Brindes ; tandis que moi, en cinquante jours que j’ai mis à parcourir la Sicile entière, j’ai pris connaissance de tous les mémoires, de tous les griefs privés ou publics : on vit bien alors qu’il avait cherché un accusateur qui pût, non pas amener son accusé devant les juges, mais empêcher que je ne l’y amenasse moi-même.

III. Et maintenant voici ce que fait cet audacieux, cet insensé. Il sait bien que je ne me présente pas devant ce tribunal sans être assez préparé, muni d’assez de pièces, non seulement pour vous faire connaître, mais pour exposer aux yeux de tous, ses vols et ses infamies. Il sait qu’il existe nombre de sénateurs témoins de son audace ; il voit ici un grand nombre de chevaliers romains, et en outre, une foule de citoyens et d’alliés envers lesquels il a commis des injustices criantes. Il y voit enfin réunies les députations imposantes de nos villes les plus fidèles, et qui toutes sont arrivées munies d’actes et de témoignages publics. Eh bien ! malgré tout cela, il a si mauvaise opinion de tous les hommes vertueux, il croit voir tant d’avilissement, tant de corruption dans ces tribunaux composés de sénateurs, qu’il s’applaudit tout haut d’avoir aimé l’argent avec passion, puisque l’argent lui est d’un si grand secours,