Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/107

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disant partout qu’avec l’argent il a acheté ce qui était le plus difficile, le temps même de son jugement, et par là même la facilité d’acheter le reste, afin que ne pouvant en aucune manière échapper à la force de l’accusation, il dérobât du moins sa tête aux premiers coups de l’orage. Que si Verrès eût fondé quelque espoir sur sa cause, ou plutôt s’il eût pu compter sur l’appui de quelque personnage honorable, il n’épierait pas ainsi les occasions, et n’aurait pas recours à toutes ces petites ruses ; il ne mépriserait pas l’ordre des sénateurs au point de faire désigner, à son choix, un sénateur pour remplir le rôle d’accusé et plaider avant lui sa cause, tandis que lui, Verrès, préparerait tout ce qu’il lui faudrait pour la sienne. Qu’espère-t-il par là, quel est son but ? Je le vois bien ; mais qu’il se flatte de réussir devant le préteur (Glabrion), devant ce tribunal, c’est ce que je ne puis comprendre. Je ne comprends qu’une chose, et le peuple romain en a jugé comme moi à la récusation des juges, c’est qu’il plaçait dans l’argent son unique moyen de salut, persuadé que, cette ressource perdue, il n’en trouverait pas d’autre.

IV. En effet, quel génie assez vaste, quelle bouche assez éloquente pourrait entreprendre de justifier, même en partie, une vie souillée de tant de vices et d’infamie, déjà condamnée par le vœu et le jugement de tout l’univers ? Et pour ne rien dire des désordres et des turpitudes de sa jeunesse, si je commence par le premier pas qu’il fit dans les honneurs, sa questure, que nous offre-t-elle ? Cn. Carbon dépouillé par son questeur de l’argent du trésor publie, un consul pillé et trahi, une armée désertée, une province abandonnée ; tous les liens du sort et de la religion brisés et foulés aux pieds. Sa lieutenance fut la ruine de toute l’Asie et de la Pamphylie ; ces provinces, où quantité de maisons, nombre de villes et tous les temples furent la proie de ses déprédations ; où on le vit renouveler contre Cn. Dolabella le crime qu’il avait déjà commis étant questeur ; où, par ses malversations, il attira la haine publique sur celui qui l’avait eu pour lieutenant ou pour vice questeur, et qu’ensuite il abandonna au plus fort du péril, qu’il poursuivit lui-même et trahit indignement. Préteur à Rome, il pilla les édifices sacrés et laissa tomber les édifices publics ; là, sous son autorité, les biens, les propriétés, furent, au mépris des règles établies, adjugés, donnés arbitrairement. Mais c’est dans le gouvernement de Sicile qu’il a laissé les traces les plus profondes, et les plus éclatants témoignages de ses vices. Pendant trois ans il a tellement opprimé, tellement ravagé cette province, qu’il n’est plus possible désormais de la rétablir dans son ancien état, et qu’il faudrait plusieurs années sous des préteurs irréprochables, pour lui rendre enfin quelque apparence de prospérité. Tant que les Siciliens l’ont eu pour préteur, ils n’ont joui ni de leurs lois, ni de nos sénatus-consultes, ni du droit commun des nations : chacun ne possède en Sicile que ce qui a échappé à la rapacité du plus avare et du plus débauché de tous les hommes, ou ce que la satiété ne lui permettait plus de désirer.

V. Aucune affaire, pendant trois ans, n’a été jugée que selon son caprice : nul n’a possédé une chose, lui vînt-elle de son père ou de ses aïeux, dont il ne pût être dépouillé par sentence du