Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seil était dans les mains de tout le monde ; plus de notes, plus de couleurs, plus de souillures dont il parût possible de flétrir de tels suffrages alors cet homme, qui paraissait d’abord si gai, si triomphant, devint tout à coup si humble et si soumis, qu’il semblait non seulement condamné dans l’esprit du peuple romain, mais même à ses propres yeux. Mais voici que ces jours derniers, les comices consulaires étant terminés, il reprend ses anciens projets à l’aide de sommes plus considérables ; il emploie les mêmes hommes pour tendre les mêmes pièges à l’honneur et à la fortune de tous les citoyens. Le fait nous a été révélé, d’abord par une faible preuve et de légers indices ; puis, guidés par nos premiers soupçons, nous sommes parvenus à pénétrer leurs desseins les plus secrets.

VII. En effet, comme Hortensius, consul désigné, revenait du Champ de Mars accompagné d’une foule innombrable qui le reconduisait chez lui, C. Curion rencontre par hasard cette multitude. Je le nomme ici plutôt par honneur que dans l’intention de l’offenser ; car je rapporterai des paroles qu’il n’eût pas dites ouvertement, publiquement, au milieu de tant de monde, s’il n’eût pas voulu qu’on les rappelât ; encore ne les répéterai-je qu’avec ménagement, avec précaution, de manière à faire sentir que j’ai égard à notre amitié et à son rang. Il aperçoit, près de l’Arc de Fabius, Verrès au milieu de la foule ; il lui adresse la parole, et le félicite à haute voix. ; quant à Hortensius, qui venait d’être nommé consul, à ses parents, à ses amis qui étaient alors autour de lui, il ne leur dit pas un mot ; c’est devant Verrès qu’il s’arrête, c’est Verrès qu’il embrasse avec affection, en lui— disant d’être sans inquiétude : « Je vous déclare absous, lui dit-il, par les comices d’aujourd’hui. » Ces paroles, entendues par tant de citoyens des plus honorables, me sont aussitôt rapportées, ou plutôt, me sont répétées par tous ceux qui me rencontrent. Les uns en étaient indignés ; les autres en riaient : ceux-ci, parce qu’ils pensaient que la cause de cet homme dépendait de l’autorité des témoins, de la nature des chefs d’accusation, de la décision des juges, et non pas des comices consulaires ; ceux-là, parce qu’ils voyaient mieux le fond des choses, et que. ces félicitations leur semblaient annoncer l’espoir de corrompre les juges. Voici en effet comment ils raisonnaient, comment ces hommes honorables en parlaient entre eux et avec moi : « Il est clair, il est manifeste, qu’il n’y a plus de justice ; celui qui, accusé la veille, se croyait déjà condamné, aujourd’hui, parce que son défenseur est nommé consul, se trouve absous. Quoi donc, toute la Sicile, tous ces Siciliens, tous ces négociants, tous ces actes publics et privés sont à Rome, et tout cela ne sera d’aucun poids ? — non, s’il ne plaît au consul désigné. Mais les juges ? ne prononceront-ils pas d’après les délits, d’après les témoignages, d’après l’opinion du peuple romain ? — non : tout dépendra du pouvoir et de la volonté d’un seul.

VIII. Je l’avouerai avec franchise, juges ; à ces discours, j’étais vivement ému. Car les meilleurs citoyens me disaient : « On vous arrachera ce coupable ; mais nous, nous ne conserverons pas plus longtemps les tribunaux » . En effet, Verrès absous, qui pourra s’opposer à ce qu’on les transporte dans un autre ordre ? Tous étaient dans la douleur ; mais la joie soudaine de ce misérable