Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/110

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les affligeait bien moins que les nouvelles félicitations d’un personnage si distingué. Je voulais dissimuler la peine que j’en ressentais ; je voulais cacher ma douleur sous un air impassible, et la renfermer dans le silence ; mais voici que, ces jours-là même, comme les préteurs désignés tiraient au sort les causes qu’ils auraient à instruire, la connaissance des concussions étant échue à Metellus, ou m’annonce que Verrès en a reçu tant de félicitation, qu’il a envoyé chez lui pour en faire part à sa femme. Sans doute, je ne pouvais être satisfait de cet incident, mais je ne voyais pas ce qu’il y avait là de si redoutable pour moi. Je trouvais seulement, d’après le rapport de personnes sûres qui m’ont instruit de tout, que plusieurs paniers pleins d’argent sicilien avaient été transportés de la maison d’un sénateur chez un chevalier romain ; que dix autres paniers environ avaient été laissés chez ce sénateur pour servir dans les comices où je devais me présenter comme candidat ; et que les distributeurs de toutes les tribus avaient été invités à se rendre la nuit près de Verrès. L’un d’eux, qui se croyait obligé à me servir en tout, vient me trouver dans la nuit même ; il m’apprend quels discours Verrès leur a tenus — il leur a rappelé avec quelle libéralité il les avait traités lorsqu’il sollicitait la préture, et depuis, aux dernières élections consulaires et prétoriennes ; enfin il leur a promis tout l’argent qu’ils voudraient, dès qu’ils m’auraient écarté de l’édilité. Les uns avaient dit qu’ils n’osaient s’en charger, d’autres avaient répondu qu’ils ne croyaient pas la chose possible ; on avait cependant trouvé un ami courageux, un parent, un Q. Verrès, de la tribu Romilia, un des distributeurs les mieux disciplinés, élève et ami du père de l’accusé ; il avait, moyennant cinq cent mille sesterces, déposés à l’avance, promis de mener à bonne fin l’entreprise, et quelques-uns s’étaient engagés à le seconder. Voilà ce dont m’avertissait cet ami, en me conseillant, et certes c’était une preuve de bienveillance, de prendre toutes mes précautions.

IX. Assailli de toutes parts, j’avais à peine le temps de faire face à tous ces dangers ; l’ouverture des comices était imminente ; et, dans leur sein même, on m’attaquait avec de puissantes ressources pécuniaires. Le procès pressait ; et les paniers pleins d’or de la Sicile menaçaient l’indépendance de la justice. La crainte des comices m’empêchait de satisfaire librement aux exigences du procès, et le procès ne me permettait pas de consacrer tous mes soins à ma candidature. Enfin je ne pouvais pas faire de menaces aux distributeurs, car je les voyais persuadés que j’allais être distrait et enchaîné ici par cette accusation. Vers ce temps même j’apprends que les Siciliens ont été invités, pour la première fois, par Hortensius., à se rendre chez lui ; et que, libres cette fois, et sachant pourquoi on les invitait, ils ne s’y sont pas rendus. Cependant nos comices, dont Verrès se croyait maître, comme il l’avait été des autres comices de cette année, se sont ouverts. Et lui, cet homme puissant, de courir de tribu en tribu, avec son fils, enfant aimable et plein de grâce, d’aller trouver les amis de son père, les distributeurs, de les saluer tous, et de s’entretenir avec eux. Dès qu’on eut remarqué et compris ses démarches, le peuple romain empêcha que ce même homme, dont les