Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/116

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ses propres yeux. Et vous, quoique la honte et l’infamie se soient attachées depuis quelques années à cet ordre, vous pouvez en enlever la tache et la faire disparaître. C’est une opinion générale que, depuis l’établissement des tribunaux tels qu’ils sont aujourd’hui, pas un n’a brillé de cet éclat et de cette dignité. S’il arrive donc qu’il se commette quelque faute dans celui-ci, on sera convaincu qu’il ne faut pas chercher dans le même ordre des juges plus capables ; on n’en saurait trouver, mais choisir un autre ordre pour administrer la justice.

XVII. Aussi, juges, je commence par demander aux dieux immortels ce que je crois pouvoir espérer, c’est-à-dire qu’il ne se rencontre pas dans cette cause d’autre prévaricateur que celui qui est connu depuis longtemps. Mais s’il s’en trouvait plusieurs, je vous le déclare à vous, juges, et au peuple romain, la vie me manquera plutôt, j’en jure par Hercule, que la force et la persévérance pour poursuivre leur perversité. Mais ce que je promets de poursuivre sans ménagement, à quelques fatigues, à quelques dangers, à quelques inimitiés que je m’expose, dans le cas où le crime serait commis, vous pouvez, Glabrion, en préserver notre gloire par votre sagesse, votre autorité, votre vigilance. Prenez en main la cause des tribunaux ; prenez en main la cause de la sévérité, de l’intégrité, de la bonne foi, de la religion ; prenez en main la cause du sénat, afin que, justifié par ce jugement, il puisse conquérir les éloges et la faveur du peuple romain. Songez qui vous êtes, quelle position vous occupez, ce que vous devez faire pour le peuple romain, ce que vous devez à vos ancêtres ; souvenez-vous de la loi Acilia portée par votre père, et sous l’empire de laquelle le peuple romain a vu rendre contre les concussions des jugements si équitables par les juges les plus sévères. Autour de vous s’élèvent les plus hautes autorités, lesquelles ne vous permettent point d’oublier la gloire de votre maison, et vous rappellent jour et nuit le rare courage de votre père, la profonde sagesse de votre aïeul, l’imposante gravité de votre beau-père. Si donc vous empruntez l’énergie et la vigueur de votre père Glabrion pour résister aux hommes audacieux ; la prudence de votre aïeul Scévola, pour prévoir les embûches que l’on prépare à votre réputation et à celle de ce tribunal ; la fermeté de Scaurus votre beau-père, pour que nul ne puisse vous faire dévier du chemin de la vérité et de la justice : le peuple romain comprendra qu’avec un préteur aussi intègre et aussi honorable, avec un tribunal choisi, les grandes richesses d’un accusé coupable ont servi plutôt à faire soupçonner son crime qu’à lui fournir des moyens de salut.

XVIII. Pour moi, j’ai fermement résolu de ne pas m’exposer à changer de préteur et de juges dans cette cause. Je ne laisserai pas traîner l’affaire jusqu’à cette époque désirée, où les Siciliens, peu dociles jusqu’ici aux esclaves des consuls désignés, qui les mandaient par un abus d’autorité sans exemple, seraient convoqués par les licteurs des consuls ; où ces malheureux, jadis les alliés et les amis du peuple romain, aujourd’hui ses sujets et ses suppliants, perdraient, par l’ordre de ces hommes, leurs droits et tous leurs biens, sans avoir même la faculté de déplorer cette perte. Non, je ne souffrirai pas que, après avoir fini