Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/130

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flots. On retrouve parmi les débris ces statues d’Apollon ; Dolabella les fait replacer : la tempête s’apaise ; il s’éloigne de Délos. Non, Verrès, quoiqu’il n’y ait jamais eu en vous aucun des sentiments de l’humanité, que vous n’ayez jamais respecté la religion, je ne doute pas qu’en ce moment, au milieu des craintes et des dangers qui vous environnent, l’idée de vos crimes ne se présente à votre esprit. Pouvez-vous conserver la moindre espérance, quand vous vous rappelez toutes les impiétés, tous les sacrilèges dont vous vous êtes rendu coupable envers les dieux immortels ? Vous avez osé dépouiller l’Apollon de Délos ! Vous avez porté vos mains souillées sur ce temple si antique, si auguste, si révéré ! Si, dans votre enfance, vos maîtres ne vous ont pas appris ce que les auteurs en ont dit dans leurs ouvrages, ne pouviez-vous pas, à votre arrivée dans ces lieux, recueillir ce que la tradition et l’histoire nous en ont transmis ? Ne pouviez-vous pas savoir que Latone, longtemps errante et fugitive, pressée par la nature d’accoucher, se réfugia dans l’île de Délos, et y mit au monde Apollon et Diane ? C’est ce qui a fait croire que Délos leur était consacrée ; et tel est le respect que cette tradition inspire et a toujours inspiré, que les Perses eux-mêmes, lorsqu’ils déclarèrent la guerre aux dieux et aux hommes ainsi qu’à toute la Grèce, étant arrivés dans cette île avec mille vaisseaux, n’osèrent y commettre aucune violence. Et c’est là le temple que vous n’avez pas craint de dépouiller, vous le plus méchant, le plus insensé des hommes ? Et il s’est trouvé un misérable assez avide pour donner l’exemple d’une pareille profanation ? Si vous n’y songiez pas alors, osez nier aujourd’hui qu’il y ait un supplice si terrible que vos crimes ne l’aient pas mérité depuis longtemps.

XIX. Enfin il arrive en Asie. Que dirai-je de ses repas, de ses festins, des chevaux, des présents qu’il y reçoit ? Mais je ne dois pas m’arrêter à des faits ordinaires en parlant de Verrès. Ce que je dirai, c’est qu’il a enlevé d’admirables statues à Chio, et dans les villes d’Erythres et d’Halicarnasse ; c’est qu’à Ténédos, sans parler de l’argent qu’il a pris, Ténès, lui-même, regardé par les Ténédiens comme leur divinité la plus sainte, Ténès, fondateur de leur ville, et qui lui a donné son nom, ce Ténès, chef-d’œuvre de sculpture, et que vous avez vu autrefois dans le Comitium, est devenu aussi la proie de sa rapacité, malgré le désespoir des citoyens. Mais lorsqu’il dépouilla le temple si ancien et si célèbre de Junon samienne, quel deuil pour les habitants de Samos ! quelle douleur pour toute l’Asie ! quelle nouvelle pour tous les peuples ! qui de vous n’en a pas entendu parler ? Des députés de Samos s’étant rendus en Asie auprès de Cn. Néron, pour se plaindre de cette spoliation, voici la réponse qu’ils en rapportèrent : que c’était à Rome qu’il fallait porter de pareilles plaintes contre un lieutenant du peuple romain, et non devant le préteur. Sur ce point, vous avez entendu Charidème de Chio déposer qu’étant commandant de vaisseau, et accompagnant Verrès à son départ de l’Asie, il avait été avec lui à Samos par ordre de Dolabella ; qu’il savait que le temple de Junon et la ville de Samos avaient alors été pillés ; que depuis, accusé par les Samiens, il avait dû se défendre devant ses concitoyens, et qu’il avait été absous, ayant prouvé