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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/134

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de sa suite sont reçues chez d’autres citoyens. Aussitôt, selon sa coutume, et poussé par cet instinct qui le porte toujours au crime, il charge ses dignes compagnons, les plus corrompus et les plus infâmes des hommes, de voir, de chercher s’il n’y aurait pas une jeune fille ou une femme qui méritât de l’arrêter quelques jours à Lampsaque.

XXV. Parmi ses compagnons était un certain Rubrius, homme créé tout exprès pour servir les passions de Verrès, et qui, partout où il allait, s’entendait merveilleusement à lui trouver de quoi les satisfaire. Il lui rapporte qu’il existe à Lampsaque un certain Philodamus, que sa naissance, sa réputation, ses richesses, et l’estime publique placent au premier rang dans la ville ; que ce Philodamus a une fille qui demeure avec son père, n’étant pas encore mariée ; qu’elle est d’une beauté rare, mais qu’elle a la réputation d’être aussi vertueuse que chaste. À ce récit, Verrès s’enflamme tellement pour cette femme qu’il n’a jamais vue, que son affidé lui-même n’a pas vue, qu’il veut, dit-il, aller sur-le-champ loger chez Philodamus. Janitor, son hôte, n’ayant aucun soupçon, mais craignant de lui avoir manqué en quelque chose, fait tous ses efforts pour le retenir : Verrès, ne pouvant trouver de prétexte pour l’abandonner, cherche un autre moyen d’en venir à son but. Il dit que Rubrius, son cher ami, son ministre et son confident pour toutes ces sortes d’affaires, n’est pas assez commodément logé ; il le fait conduire chez Philodamus. Dès que Philodamus apprend cette résolution, il va trouver Verrès, ignorant tout le mal qu’on médite contre lui et ses enfants. Il lui représente que ce n’est point à lui de loger Rubrius ; que, lorsque son tour vient de recevoir des hôtes, ce sont des consuls et des préteurs qu’il a coutume de recevoir, et non des gens de la suite des lieutenants. Verrès, que sa passion entraîne, ne veut rien entendre ; il fait conduire d’autorité Rubrius chez celui qui ne devait pas être son hôte.

XXVI. Philodamus, voyant qu’il ne pouvait obtenir justice, ne manqua pas à son urbanité ordinaire. Ayant toujours passé pour l’hôte le plus empressé, pour l’ami le plus dévoué de nos concitoyens, il ne voulut pas laisser croire que Rubrius lui-même eût été reçu malgré lui dans sa maison. Comme il était un des plus riches de la ville, il prépare un festin magnifique, et engage Rubrius à inviter tous ceux qu’il voudra ; à ne laisser, si bon lui semble, de place que pour lui : il envoie même son fils, jeune homme fort distingué, souper chez un parent. Rubrius invite les gens de la suite de Verrès, qui les instruit de son dessein. Ils arrivent de bonne heure ; on se met à table ; la conversation s’engage, on s’excite mutuellement à boire à la grecque. L’hôte s’efforce d’entretenir la gaieté ; on demande les grandes coupes ; les joyeux propos circulent. Quand Rubrius voit qu’on est assez échauffé : Philodamus, dit-il, pourquoi ne pas faire venir ta fille ici ? Philodamus, citoyen respectable par son âge, par ses mœurs, par son titre de père, reste confondu. Rubrius insiste. Philodamus, pour répondre quelque chose, dit qu’il n’est pas dans les mœurs des Grecs que les