Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femmes paraissent dans un festin à côté des hommes. Un autre s’écrie alors : La sotte coutume ; voilà qui n’est pas supportable ! qu’on fasse venir la jeune femme ! Et aussitôt Rubrius ordonne à ses esclaves de fermer la porte et de garder l’entrée de la salle. À cet ordre, le père comprend qu’il s’agit de l’honneur de sa fille ; il appelle ses esclaves ; leur dit de la défendre sans s’occuper de lui ; qu’un d’entre eux cependant coure avertir son fils du malheur qui menace la famille. Cependant des cris se font entendre dans toute la maison ; un combat s’engage entre les esclaves de Rubrius et ceux de son hôte. On frappe, on terrasse dans sa propre maison un homme du premier rang, un personnage des plus honorables : chacun le maltraite à l’envi ; enfin Rubrius lui-même inonde Philodamus d’eau bouillante. Le fils apprend ce qui se passe ; hors de lui, il accourt défendre la vie de son père et l’honneur de sa sœur. À cette nouvelle, les habitants de Lampsaque sont saisis d’indignation. Ils arrivent en foule au milieu de la nuit, afin de venger l’outrage fait à Philodamus. Là Cornélius, licteur de Verrès, posté avec d’autres esclaves pour enlever la jeune fille, est tué ; quelques esclaves sont blessés : Rubrius lui-même est blessé grièvement dans la mêlée. Quant à Verrès, voyant le tumulte excité par son crime, il cherchait partout un moyen de s’évader.

XXVII. Le lendemain, dès le matin, on se rend à l’assemblée ; on se demande quel est le meilleur parti à prendre ; chacun, selon l’autorité dont il jouissait, prend la parole ; il n’y eut personne qui ne fût persuadé et qui n’assurât qu’on pouvait être sans crainte ; que le sénat et le peuple romain ne voudraient pas punir les habitants de Lampsaque pour avoir tiré vengeance du crime de ce misérable. Que si les lieutenants du peuple romain s’arrogeaient de tels droits sur les alliés et les nations étrangères, qu’il ne fût pas permis à un père de mettre l’honneur de ses enfants à l’abri de leur dépravation, il valait mieux tout souffrir que de vivre sous une tyrannie si odieuse et si violente. L’indignation étant générale, on se précipite vers la maison de Verrès : on commence à battre la porte à coups de pierres, à l’ébranler avec le fer, à y amasser du bois et des matières combustibles, et on y met le feu. Les citoyens romains, que leurs affaires retenaient à Lampsaque, accourent de tous côtés ; ils prient les habitants de songer à la dignité de la lieutenance plutôt qu’à l’outrage du lieutenant : qu’ils voyaient bien que c’était un homme impur et exécrable, mais que, n’ayant pas réussi dans ses tentatives, et ne devant pas rester à Lampsaque, ils auraient moins à se repentir d’avoir épargné ce scélérat, que d’avoir tué le lieutenant du préteur. Ainsi cet homme bien plus criminel et bien plus pervers que ce fameux Adrien, fut encore plus heureux que lui. Celui-ci dont les citoyens romains n’avaient pu tolérer l’avarice, fut brûlé vif à Utique, dans son palais, et cette mort parut si méritée qu’on n’en rechercha pas les auteurs : Verrès, au contraire, à demi brûlé par nos alliés, a pourtant échappé aux flammes sans avoir pu nous dire jusqu’ici com-