Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/180

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serment, il affirme avoir entendu dire à Timarchide que les accusateurs en offraient davantage : c’est ce que vous diront tous les Siciliens, ce que diront les habitants d’Halicye, ce que dira le jeune fils de Sopater, celui qui a été privé par cet homme sans pitié d’un père innocent et de la fortune paternelle. Mais, quand je n’aurais pu prouver par des témoins que vous avez reçu de l’argent, auriez-vous pu nier, nieriez-vous aujourd’hui, qu’après avoir congédié votre conseil, après avoir éloigné des hommes du premier rang, qui avaient été du conseil de C. Sacerdos, et qui étaient ordinairement du vôtre, vous avez jugé une affaire déjà jugée ? Nierez-vous que le même homme que C. Sacerdos avait absous dans son conseil, après l’avoir entendu, vous, sans votre conseil, vous l’avez condamné sans l’entendre ? Quand vous aurez avoué ces faits, qui se sont passés en plein forum, publiquement, à Syracuse, à la face et sous les yeux de toute la province, niez alors, si vous le voulez, que vous ayez reçu de l’argent, et trouvez quelque homme qui, voyant ce qui s’est passé en public, doute encore de ce que vous aurez fait en secret, et hésite s’il doit plutôt croire mes témoins que vos défenseurs. J’ai déjà déclaré, juges, que je ne détaillerais pas toutes les actions de Verrès en ce genre, mais que je choisirais les plus remarquables.

XXXIV. Apprenez maintenant un autre exploit de Verrès, exploit célèbre en Sicile et ailleurs, et qui me semble renfermer à lui seul tous les crimes. Écoutez avec une attention soutenue : vous trouverez que ce forfait est né de la cupidité, s’est accru par l’adultère, a été achevé et consommé par la cruauté. Sthénius, assis près de nous, citoyen de Thermes, connu auparavant de beaucoup de personnes pour sa rare vertu et sa haute noblesse, doit aujourd’hui à son infortune et aux insignes injustices de Verrès d’être connu de tout le monde. Verrès, quoique lié avec lui par les droits de l’hospitalité, quoique souvent reçu dans sa maison de Thermes, qu’il avait même habitée, en enleva tout ce qui pouvait exciter l’attention ou attirer les regards. En effet, Sthénius, dès sa jeunesse, avait rassemblé avec beaucoup de soin et de goût divers objets d’art, en airain de Délos et de Corinthe, des tableaux, et même assez de belle argenterie pour la fortune d’un habitant de Thermes. Voyageant en Asie dans sa jeunesse, il avait, comme je viens de le dire, mis tous ses soins à rassembler ces objets précieux, moins pour son plaisir, que pour celui de nos concitoyens, ses amis et ses hôtes, qu’il invitait à sa table, ou dont il voulait fêter l’arrivée. Lorsque Verrès lui eut tout enlevé, soit en demandant, soit en exigeant, soit en prenant, Sthénius supporta ces pertes le mieux qu’il put. Il ne laissait pas de ressentir une vive peine : sa maison, si bien décorée, si bien fournie de tout, Verrès venait de la laisser nue et vide. Toutefois il ne faisait part de son chagrin à personne : il croyait devoir tout souffrir d’un préteur sans se plaindre, et d’un hôte avec patience. Cependant Verrès, avec cette passion si connue, et dont on parle chez tous les peuples, ayant vu de fort belles statues antiques placées dans les lieux publics de Thermes, en fut épris : il demanda à Sthénius de lui promettre ses services pour les enlever, et lui prêter son secours. Sthénius non seulement refusa, mais il lui déclara qu’il était impossible que des statues de cette antiquité,