Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/181

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des monuments de Scipion l’Africain, fussent enlevés de Thermes, tant que Rome serait debout et qu’il y aurait un empire romain.

XXXV. Je veux opposer ici à Verrès la douceur et l’équité de Scipion. Les Carthaginois avaient pris autrefois Himère, une des villes de la Sicile les plus célèbres et les mieux décorées. Scipion, qui croyait digne du peuple romain qu’aussitôt la guerre finie, notre victoire rendît à nos alliés ce qui leur appartenait, fit restituer ce qu’il put à tous les Siciliens, après la prise de Carthage. Himère détruite, ceux des citoyens que les malheurs de la guerre avaient épargnés, s’étaient établis à Thermes sur les confins du même territoire, non loin de leur ancienne ville. Ils croyaient recouvrer la fortune et la gloire de leurs pères, en plaçant dans leur nouvelle demeure les monuments de leurs ancêtres. Il y avait plusieurs statues en airain, une entre autres, d’une grande beauté ; c’était Himère elle-même, représentée sous la figure et l’extérieur d’une femme portant le nom de la ville et du fleuve. On y voyait aussi un vieillard courbé, un livre à la main, représentant Stésichore ; statue qui passe pour un chef-d’œuvre. Stésichore était d’Himère ; mais toute la Grèce a rendu et n’a pas cessé de rendre les mêmes honneurs à son génie. Verrès désirait avec fureur ces deux statues. Il s’y trouvait encore, je l’avais presque oublié, une certaine chèvre, ouvrage merveilleux, dont la grâce et la finesse pourraient faire impression même sur nous qui connaissons peu les chefs-d’œuvre. Ces ouvrages, et d’autres semblables, Scipion ne les avait pas négligés et dédaignés pour que Verrès, profond connaisseur, pût les enlever ; et s’il les rendit aux habitants de Thermes, ce n’est pas qu’il n’eût aussi des jardins, ou une demeure dans le voisinage de la ville, quelque endroit enfin où il pût les placer ; mais s’il les eût transportés chez lui, on ne les aurait pas longtemps appelés de son nom, mais du nom de ceux à qui sa mort les aurait transmis : tandis que dans la place où ils sont encore ; ils appartiendront toujours à Scipion, et qu’on les appelle même les monuments de Scipion.

XXXVI. Verrès les demandait, et la chose était agitée dans le sénat ; Sthénius s’y opposa très fortement ; et comme il est un des Siciliens les plus éloquents, il donna de nombreuses raisons. Il est plus honorable, disait-il, pour les Thermitains d’abandonner leur ville, que d’en laisser enlever les monuments de leurs ancêtres, les dépouilles des ennemis, les bienfaits d’un grand homme, les témoignages de leur alliance et de leur amitié avec le peuple romain. Toutes les âmes furent émues ; il ne se trouva personne qui ne déclarât qu’il valait mieux mourir. Aussi, est-ce presque la seule ville de l’univers d’où Verrès n’ait pu rien enlever en ce genre dans les places et édifices publics, ni par violence, ni par ruse, ni par autorité, ni par crédit, ni par corruption. Mais je parlerai ailleurs de sa passion pour tous ces objets ; maintenant, je reviens à Sthénius. Le préteur, irrité contre Sthénius, déclare tout lien d’hospitalité rompu entre eux ; il déménage, ou plutôt il déloge, car il avait déjà enlevé les meubles. Les ennemis de Sthénius invitent Verrès à venir demeurer chez eux, afin d’être plus à portée de l’aigrir par leurs calomnies et leurs accusations. Ces ennemis étaient Agathinus, noble Sicilien, et Dorothéus, mari de Callidama, fille