Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


SECONDE ACTION CONTRE VERRÈS.

DISCOURS HUITIÈME.


ARGUMENT.

Après un long et éloquent préambule, où il montre quel fardeau il s’est imposé en accusant un Verrès, coupable de toutes les sortes de crimes, et combien il doit être ennemi d’un tel homme, d’un homme qui, malgré ses vices et ses forfaits, est protégé par beaucoup de nobles, l’orateur divise en trois parties le chef d’accusation qui regarde les blés de la Sicile, et il annonce qu’il parlera, dans la première, du blé dimé ; dans la seconde, du blé acheté ; dans la troisième, du blé estimé.

La première partie, où il est question du blé dimé ou de dîmes, occupe seule près des deux tiers de tout le discours. Cicéron détaille, dans des narrations aussi variées et aussi intéressantes que le sujet peut le permettre, tous les vols que Verrès a faits aux particuliers et aux villes, à l’occasion des dîmes. Les villes de Sicile, excepté celles qui étaient libres et franches, étaient tenues de payer au peuple romain la dime de leurs blés. On recueillait cette dîme en nature, et on l’envoyait à Rome.

Cicéron ne donne pas d’explications précises sur la manière dont se recueillaient les dîmes dans les provinces romaines, parce qu’il parlait de choses connues de ceux qui l’écoutaient : voici toutefois quelques faits généraux. Lorsque les blés commençaient à croître, des fermiers publics, appelés en latin decumani et que nous appelons en français décimateurs (collecteurs), prenaient la dîme à l’enchère (emebant) pour tant de boisseaux de blé ; c’est-à-dire qu’ils se chargeaient de fournir au peuple romain tant de boisseaux de blé pour la dîme (qui devait lui revenir de tel champ. Les particuliers et les villes pouvaient mettre l’enchère sur les décimateurs. Si la récolte était abondante, et que la dime passât le nombre de boisseaux de blé pour lequel ils avaient pris la dîme, c’était autant de gagné pour eux : ils pouvaient perdre aussi à proportion de ce qu’elle était inférieure à ce nombre. Le préteur, ou quelqu’un pour lui, adjugeait les dîmes à celui ou à ceux dont l’enchère était portée le plus haut ; cela s’appelait vendere decumas.

Cicéron prétend que Verrès s’était associé aux décimateurs, dont le chef était un Apronius, qui est peint, dans le discours, des traits les plus forts et les plus odieux. Il explique très-bien par quelles injustices criantes les malheureux agriculteurs se trouvaient obligés de donner aux décimateurs plusieurs dîmes au lieu d’une ; comment quelquefois il leur restait à peine la dime de leur récolte. La première partie est terminée par la lecture d’une lettre de Timarchide accompagnée de réflexions.

La seconde partie traite du blé acheté. Il y avait deux sortes de blés achetés : une seconde dîme que les peuples de la Sicile étaient obligés de vendre, dans les besoins de la république, à un prix fixé par le sénat, et huit cent mille boisseaux de blé répartis sur toutes les villes de la même province, qu’on les obligeait de vendre tous les ans, et dont le prix était aussi fixé.

Le blé estimé, dont il est question dans la troisième partie, était le blé que la province devait fournir pour la provision de la maison du préteur, et que celui-ci pouvait prendre en argent, au lieu de le prendre en nature. On reproche à Verrès d’en avoir exigé plus qu’il ne lui était dû, et de l’avoir estimé bien au delà du prix. Un tableau pathétique de la triste situation des agriculteurs siciliens termine le discours.

Il y est beaucoup parlé de médimnes et de boisseaux. Le médimne, selon le P. Montfaucon, était une mesure de dix setiers. Il fallait six boisseaux pour faire un médimne.

« Cicéron, dit Desmeuniers, avertit lui-même les juges, qu’obligé de citer une foule de calculs, il sera moins intéressant que dans les autres parties de l’accusation ; mais il développe si bien les faits, il enchaîne ses preuves avec tant d’art, le style est si varié, que l’ouvrage plaît d’un bout à l’autre. L’orateur a eu soin d’entremêler ces détails de morceaux énergiques et brillants : tel est le passage sur Sylla, chap. 35 ; tel est, chap. 89, le tableau de la corruption des Romains, et de la haine qu’inspiraient les magistrats de la république à tous les peuples du monde. Il expose d’une manière très-agréable les intrigues qui précédaient l’adjudication des dîmes, les vols qu’on se permettait dans la levée de l’impôt…. Il est difficile d’imaginer une administration plus tyrannique et plus défectueuse…. Ce discours, quoiqu’il ne satisfasse point toute notre curiosité sur plusieurs points d’économie politique, offre cependant quelquefois des renseignements, qu’on ne trouverait point ailleurs, sur le produit des terres, la valeur des grains, la quotité des impôts, et la manière de les percevoir : ces faits sont d’autant plus précieux, qu’ils peuvent donner une idée du gouvernement et de la richesse des anciens peuples. »


LIVRE HUITIÈME.

SUR LES BLÉS.

I. Juges, tous ceux qui, sans aucune vue d’inimitié particulière ou de vengeance personnelle, sans l’espoir d’aucune récompense, et dans le seul intérêt de la république, appellent un coupable