Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/214

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encore, vous changiez et abolissiez les lois des censeurs pour l’entretien des édifices publics ; sous votre préture, un particulier, quoique son bien y fût intéressé, ne pouvait se faire donner une entreprise ; les tuteurs et les proches ne pouvaient veiller aux intérêts d’un pupille, ni empêcher sa ruine ; vous aviez soin de prescrire un terme fort court pour un ouvrage, afin d’en écarter les autres, tandis que vous ne marquiez aucun terme à vos entrepreneurs. Ainsi, je ne suis pas étonné qu’un homme aussi éclairé et aussi habile que vous dans les édits des préteurs, dans les lois des censeurs, ait établi une loi nouvelle pour les dîmes : non, je ne suis pas étonné que vous ayez inventé quelque chose ; mais que, de votre propre mouvement, sans l’ordre du peuple, sans l’autorité du sénat, vous ayez changé les lois de la Sicile, c’est en quoi je vous blâme, c’est de quoi je vous accuse.

Autorisés par le sénat, les consuls L. Octavius et C. Cotta avaient affermé à Rome les dîmes de vin, d’huile et de menues récoltes que les questeurs, avant vous, affermaient en Sicile, et à ce sujet ils avaient porté la loi qu’ils jugeaient convenable. Lorsqu’on renouvela le bail, les fermiers publics demandèrent qu’on ajoutât quelque chose à la loi, et que toutefois on ne s’écartât point des autres lois des censeurs. Cette demande fut contredite par quelqu’un qui se trouvait alors à Rome, par votre hôte, Verrès, oui, par votre hôte et votre ami, Sthénius de Thermes, ici présent. Les consuls examinèrent la chose. Ayant appelé, pour la délibération, plusieurs citoyens distingués et illustres, ils prononcèrent, de l’avis du conseil, qu’on affermerait d’après la loi d’Hiéron.

VIII. Comment ! des hommes qui avaient de grandes lumières et une autorité imposante, à qui le sénat avait accordé tout pouvoir de porter des lois pour affermer les impôts, à qui le peuple romain avait confirmé ce pouvoir ; de tels hommes ont déféré à la réclamation d’un seul Sicilien ; ils n’ont pas voulu, même pour augmenter les impôts, changer le nom de la loi d’Hiéron : et vous, homme sans intelligence et sans autorité, vous vous êtes permis, sans aucun ordre du sénat et du peuple, malgré les réclamations de toute la Sicile, au grand détriment ou plutôt à la ruine des impôts publics, vous vous êtes permis d’anéantir la loi d’Hiéron !

Mais quelle loi, Romains, a-t-il réformée, ou plutôt anéantie ? la loi la mieux faite et la plus sage, une loi qui, par toutes les précautions imaginables, livre et soumet au décimateur l’agriculteur, lequel est veillé de si près, qu’il ne peut, sans s’exposer à la plus rigoureuse peine, frustrer d’un seul grain le décimateur, ni lorsque les blés sont sur pied, ni lorsqu’ils sont dans le grenier ou dans l’aire, ni lorsqu’on les transporte dans un lieu voisin ou éloigné. La loi est faite avec un soin qui prouve que son auteur n’avait pas d’autre revenu ; avec toute l’habileté d’un Sicilien, avec toute la sévérité d’un maître absolu. D’après cette loi, cependant, il est avantageux en Sicile de s’occuper d’agriculture, parce que les droits du décimateur sont si bien réglés, qu’il ne peut jamais forcer le cultivateur de lui payer plus que la dîme.