Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/215

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Malgré la sagesse de cette institution, il s’est trouvé un homme qui, après tant d’années, bien plus, après tant de siècles, a entrepris de la changer, de la détruire : oui, Verrès est le seul qui ait fait tourner à des gains criminels des règlements sages, favorables aux alliés, utiles à la république ; qui ait établi de prétendus décimateurs, lesquels n’étaient que les ministres et les satellites de sa cupidité. Je vous les montrerai, Romains, se livrant pendant trois ans, dans la province, à tant de vexations et de rapines, que nos gouverneurs les plus intègres et les plus habiles pourront à peine, après un long intervalle, réparer ces malheurs.

IX. Le chef de tous ces hommes qu’on appelait décimateurs était ce Q. Apronius, que vous voyez, dont la perversité sans exemple vous est certifiée par le témoignage des députés les plus dignes de foi. Remarquez, je vous prie, l’air du personnage et sa figure ; et par la fierté qu’il garde encore dans une situation désespérée, essayez de vous figurer, de vous représenter quelle a dû être son arrogance lorsqu’il régnait en Sicile. C’est cet Apronius que Verrès, qui, dans toute la province, avait ramassé de toutes parts avec tant de soin les hommes les plus vicieux, et qui avait emmené avec lui une si grande foule de ses pareils, a regardé comme un autre lui-même, comme une parfaite image de ses vices, de sa débauche, de son audace. Aussi, en fort peu de temps, furent-ils étroitement liés ; ce ne fut ni l’intérêt, ni la raison, ni quelque recommandation particulière, mais la même dépravation de goûts, qui les unit. Vous connaissez les mœurs perverses et déréglées de Verrès : imaginez-vous, si vous le pouvez, un homme qui aille avec lui de pair dans toutes ses infamies, dans ses honteuses dissolutions : vous aurez une idée de cet Apronius, lequel, comme on en peut juger, non seulement par sa conduite, mais encore par sa taille et tout son extérieur, est comme l’abîme et le gouffre immense de tous les opprobres et de tous les vices. Verrès l’employait en chef dans tous ses adultères, dans le pillage des temples, dans ses impurs festins. La ressemblance des mœurs les avait rapprochés, les avait unis au point que cet Apronius, qu’on trouvait généralement grossier et rustique, Verrès seul le trouvait agréable et disert ; que celui-là même que tout le monde abhorrait, qu’on ne voulait pas voir, Verrès ne pouvait s’en passer ; qu’un homme avec lequel on évitait de se rencontrer à la même table, buvait dans la même coupe que Verrès ; qu’enfin l’odeur infecte qu’exhalaient sa bouche et son corps, et que les bêtes mêmes, comme on dit, ne pourraient souffrir, paraissait à Verrès un parfum suave et doux. Apronius se trouvait à ses côtés au tribunal ; Apronius était sans cesse dans sa chambre ; il faisait les honneurs de ses repas, même de ceux où, sans respect pour le jeune fils du préteur, il se mettait à danser nu devant lui.

X. C’est là l’homme que Verrès, comme je le disais, a nommé en chef pour tourmenter et dépouiller les malheureux agriculteurs. Oui, Romains, sachez que, sous sa préture, de fidèles alliés et d’excellents citoyens ont été livrés et abandonnés à la perversité, à l’audace, à la cruauté d’un Apronius, par des règlements et des édits nouveaux, au mépris de la loi d’Hiéron, de cette loi que Verrès, je l’ai déjà dit, a rejetée et réprouvée tout entière.

Écoutez d’abord, Romains, son admirable or-