Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/228

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Vous voyez, juges, quel funeste incendie, allumé par la violence des décimateurs, s’est répandu sur les campagnes et sur tous les biens des agriculteurs ; et comment, sous la préture de Verrès, il a dévoré même des citoyens, des hommes libres : vous le voyez ; les uns sont suspendus à des arbres, les autres sont battus et frappés indignement, d’autres sont gardés à vue dans une place publique, d’autres laissés debout dans un repas, d’autres condamnés par le médecin et l’huissier du préteur ; les biens de tous sont pillés et enlevés des campagnes. Quoi donc ! est-ce là l’empire du peuple romain ? sont-ce là ses lois, ses jugements ? sont-ce là nos alliés fidèles ? est-ce là une province à nos portes ? Athénion même, s’il eût été vainqueur, se fût-il jamais permis dans la Sicile de semblables excès ? Non, Romains, l’insolence des esclaves fugitifs n’eût jamais pu atteindre à une partie des brigandages de Verrès.

XXVII. Voilà comme on traitait les particuliers : et les villes, comment les a-t-on traitées ? Vous avez entendu les dénonciations et les dépositions du plus grand nombre d’entre elles ; vous entendrez celles des autres. Et d’abord, écoutez en peu de mots ce qui regarde le peuple d’Agyrone, aussi illustre que fidèle. La cité d’Agyrone est une des plus distinguées de la Sicile : avant la préture de Verrès, elle était remplie de citoyens riches et d’excellents agriculteurs. Le même Apronius, s’étant fait adjuger les dîmes du territoire, se rendit à Agyrone. Il y vint avec ses satellites, c’est-à-dire, avec des menaces et la violence. Il demandait, pour addition à son marché, une somme considérable, et il ne voulait, disait-il, entrer dans aucune discussion, mais, l’argent reçu, passer aussitôt à une autre ville. Les Siciliens ne sont point des hommes méprisables quand nos magistrats ne les avilissent pas ils ont assez de fermeté, beaucoup de sagesse et de raison, principalement les habitants d’Agyrone. Ils répondent donc à cet homme pervers : Nous vous donnerons les dîmes qui vous sont dues ; mais nous n’ajouterons rien de ce que vous demandez, d’autant plus que votre bail est très élevé. Apronius en informe Verrès, qui y était le plus intéressé.

XXVIII. Aussitôt on eût dit qu’on avait conspiré à Agyrone contre la république, ou qu’on avait frappé un lieutenant du préteur ; aussitôt les magistrats et les cinq premiers citoyens sont mandés d’Agyrone par ordre de Verrès. Ils viennent à Syracuse. Apronius se présente : c’étaient, disait-il, les députés eux-mêmes qui avaient enfreint l’ordonnance du préteur. En quoi ? demandaient les députés. Je le dirai devant les commissaires, répondait Apronius. Verrès, préteur équitable, montrait aux malheureux Agyriens son épouvantail ordinaire ; il menaçait de leur donner des commissaires parmi ses satellites. Les Agyriens, toujours fermes, consentaient à subir un jugement. Le préteur leur annonçait pour juges Artémidore, c’est-à-dire, Cornélius le médecin, l’huissier Valérius, le peintre Tlépolème, et d’autres gens pareils ; pas un citoyen romain, tous Grecs sacrilèges, connus d’ancienne date par leur perversité, et devenus tout à coup des Cornélius. Les accusés voyaient qu’Apronius ferait recevoir sans peine toutes les raisons qu’il apporterait devant de tels commissaires ; mais ils aimèrent mieux que le préteur se rendît odieux et se déshonorât en les faisant condamner, que de