Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/229

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se soumettre aux lois et aux conditions du décimateur. Ils demandaient à Verrès à quelles fins il donnerait des commissaires. AUX FINS, répondit-il, DE FAIRE PROUVER QUE VOUS AVEZ ENFREINT L’ORDONNANCE ; et c’est là-dessus que je rendrai mon jugement. Ils aimaient mieux avoir à lutter contre des formes iniques, devant d’injustes commissaires, que de s’arranger au gré de Verrès. Celui-ci les fait avertir secrètement, par Timarchide, de transiger s’ils étaient sages. Ils persistent dans leur refus. Quoi donc ! aimez-vous mieux être condamnés chacun à cinquante mille sesterces ? Oui, disaient-ils ; nous l’aimons mieux. Eh bien ! dit alors Verrès, assez haut pour être entendu de tout le monde, celui qui sera condamné sera battu de verges jusqu’à expirer sous les coups. Les infortunés se mettent alors à le prier, à le conjurer, les larmes aux yeux, de leur permettre de livrer à Apronius leurs blés, toutes leurs récoltes, toutes leurs terres, afin de se retirer du moins sans subir une peine corporelle et déshonorante.

Voilà, Romains, la loi qu’imposait Verrès pour affermer les dîmes. Hortensius peut dire, s’il le veut et s’il l’ose, que Verrès en a haussé l’adjudication.

XXIX. Telle a été, sous sa préture, la condition des agriculteurs, qu’ils se croyaient heureux qu’on leur permît de livrer leurs champs mêmes à Apronius pour échapper aux croix dont on les menaçait sans cesse. Il fallait donner, en vertu de l’édit, tout ce que demandait Apronius. — Même s’il demandait plus qu’on n’avait recueilli : — oui. — Comment cela ? — Les magistrats, en vertu du même édit, devaient les forcer de payer. — Mais le cultivateur pouvait réclamer ? — Oui, mais devant le commissaire Artémidore. — Et si le cultivateur avait donné moins que ne lui demandait Apronius ? — Un jugement le condamnait à une somme quadruple. — Et où prenait-on les juges ? — Parmi les hommes intègres qui formaient la suite honorable du préteur. — Que disait-on ensuite ? — Vous n’avez pas déclaré tous vos arpents. Choisissez des commissaires ; car vous avez enfreint l’édit. — Et où seront pris ces commissaires ? — Parmi les mêmes hommes. — Qu’arrivera-t-il enfin ? — Si vous êtes condamné (et doutez-vous de la condamnation qui vous attend avec de tels juges ? ), il faudra que vous soyez battu de verges jusqu’à expirer sous les coups. D’après ces lois, d’après ces conditions, est-il un homme assez insensé pour croire qu’on ait adjugé les dîmes ; pour s’imaginer qu’on ait laissé au laboureur les neuf dixièmes ; pour ne pas comprendre que Verrès a fait son profit et sa proie des biens, des possessions, de la fortune des cultivateurs ?

XXX. Intimidés par la menace d’un supplice ignominieux, les Agyriens consentirent à faire ce qui leur serait ordonné. Écoutez maintenant ce qu’ordonna Verrès, et feignez, si vous pouvez, de ne pas voir ce qu’a vu toute la Sicile, que le préteur lui-même a été le fermier des dîmes, ou plutôt le propriétaire unique et le maître absolu des terres. Il ordonne aux Agyriens de prendre eux-mêmes le bail au nom de leur ville, et d’y joindre un bénéfice pour Apronius. Si le bail était déjà très élevé, vous, Verrès, qui étiez si exact sur l’adjudication des dîmes, et qui vous vantez d’en avoir haussé le prix, pourquoi pensiez-vous qu’on dût y joindre un bénéfice