Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/230

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pour l’adjudicataire ? Soit ; vous le pensiez. Pourquoi exigiez-vous qu’on le lui donnât ? N’est-ce pas prendre et se faire donner de l’argent, ce qui est défendu par la loi, que de contraindre des peuples, par force et par autorité, de se charger de l’acquisition d’un autre, et de lui donner encore une indemnité, c’est-à-dire, de l’argent ? Mais enfin, s’il leur a été ordonné de faire un modique présent à Apronius, les délices du préteur, croyez, Romains, que c’est à Apronius qu’il a été fait, s’il vous paraît le gain d’un Apronius, et non la proie du préteur. Vous leur ordonnez de prendre les dîmes, et de donner à Apronius, comme bénéfice, trente-trois mille médimnes de blé. Quoi ! une seule ville, un seul territoire est obligé, par ordre du préteur, de donner à Apronius ce qui suffirait presque à l’approvisionnement du peuple de Rome pendant un mois ! et vous dites avoir haussé l’adjudication des dîmes, lorsque vous avez fait donner un pareil surcroît à un décimateur ! Assurément, si vous aviez été si exact sur le prix, lorsque vous affermiez les dîmes, les Agyriens auraient plutôt enchéri de dix mille médimnes que de donner ensuite six cent mille sesterces : cela vous semble un butin considérable. Écoutez le reste avec attention, et vous serez moins surpris que les Siciliens, forcés par la nécessité, aient imploré le secours de leurs protecteurs, des consuls, du sénat, des lois et des tribunaux.

XXXI. Pour l’examen du blé qui serait donné à Apronius, Verrès commande aux Agyriens de lui compter trois sesterces par médimne. Comment ! après les avoir forcés de donner une si grande quantité de blé à titre de bénéfice, on exigera encore de l’argent pour l’examen du blé ! Quand il aurait fallu en mesurer pour l’armée, Apronius, ou tout autre, pouvait-il refuser le blé de Sicile, puisqu’il pouvait se le faire livrer dans l’aire même, s’il le voulait ? Une si grande quantité de blé est exigée et donnée par votre ordre. Ce n’est point assez. On exige en outre de l’argent ; il est donné. C’est peu de chose. On force de payer d’autres sommes pour les dîmes de l’orge. Vous faites donner, Verrès, trente mille sesterces à titre de présent. Ainsi la violence, les menaces, l’autorité, l’injustice du préteur, enlèvent à une seule ville trente-trois mille médimnes de blé, et de plus soixante mille sesterces. Ces faits sont-ils obscurs ? pourraient ils l’être, même quand tout le monde le voudrait ? N’est-ce pas publiquement que vous avez exigé ; en pleine assemblée, que vous avez ordonné ; aux yeux de tous, que vous avez menacé ? Les magistrats d’Agyrone et les cinq premiers citoyens que vous aviez mandés pour votre intérêt, ont fait chez eux à leur sénat le rapport de tous vos actes tyranniques. Le rapport, conformément à leurs lois, a été consigné dans les registres publics. Leurs députés, hommes d’un rang illustre, sont à Rome ; ils ont, dans leur déposition, confirmé ce que je dis.

Prenez connaissance des registres d’Agyrone et de la déposition de ses députés. Lisez les registres. Registres publics. Lisez la déposition. Déposition des députés. Juges, vous l’avez remarqué : dans cette déposition, Apollodore, surnommé Pyragre, et le premier de sa ville, dit et proteste, les larmes aux yeux, que, depuis que les Siciliens avaient entendu parler de Rome, depuis qu’ils l’avaient connue, les Agyriens n’avaient rien dit ou fait contre le dernier de nos concitoyens, eux qui aujourd’hui se voient forcés, par les plus criantes vexations et le plus vil ressentiment, de déposer au nom de leur ville