Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous avez pu voir, Romains, bien des choses. Vous avez vu d’abord que le reproche d’association pour les dîmes n’a pas pris naissance à Rome, n’a pas été forgé par l’accusateur ; que, comme nous le disons quelquefois dans nos défenses, ce n’est pas une accusation fabriquée chez soi à loisir, et que la circonstance du jugement a fait naître ; que ce reproche est ancien, qu’il est devenu public sous la préture de Verrès ; qu’il n’a pas été inventé à Rome par ses ennemis, mais transporté à Rome de la province. On peut voir aussi par là l’attachement de Verrés pour Apronius, et juger de l’aveu et même de la déclaration d’Apronius au sujet de Verrès. Le même fait peut encore vous apprendre que Verrès, dans sa province, n’a voulu remettre qu’à ses satellites les jugements qui intéressaient son honneur.

LXII. Quel est celui des juges qui, dès le début de l’accusation concernant les dîmes, n’a pas été persuadé que Verrès a envahi les biens et la fortune des laboureurs ? quel est celui qui n’a point senti sur-le-champ ce que j’ai prouvé, que Verrès a affermé les dîmes par une loi nouvelle, ou plutôt contre les lois, contre les usages et les règlements de ses prédécesseurs ? Mais quand nous n’aurions pas des juges aussi sévères, aussi zélés, aussi religieux, est-il quelqu’un qui, d’après l’excès des vexations, la perversité des ordonnances, l’iniquité des jugements, ne se soit pas décidé, n’ait pas depuis longtemps prononcé ? quand il se trouverait un juge moins scrupuleux, moins occupé des lois, de ses devoirs, des alliés et des amis de la république, pourra-t-il avoir des doutes sur la cupidité de Verrès, connaissant les gains énormes faits sur les dîmes, les conventions iniques arrachées par la violence et par la crainte ; sachant que les villes ont été contraintes de force et par autorité, par la peur des verges et de la mort, à remettre de si énormes bénéfices, non seulement à Apronius et à ses pareils, mais même aux esclaves de Vénus ? Dût-on être peu touché des dommages qu’ont essuyés les alliés, de la fuite des cultivateurs, de leurs désastres, de leur exil, de leur fin tragique, je n’en puis douter, quiconque apprendra par les registres des villes et par la lettre de L. Métellus, que la Sicile a été ravagée, que les terres ont été abandonnées, se convaincra qu’il est impossible de ne pas juger Verrès avec la plus grande sévérité. Quelqu’un pourrait-il encore refuser de croire tout ce que j’ai dit ? pourrait-il douter ? j’ai apporté les ajournements des procès intentés en présence de Verrès, au sujet de l’association pour les dîmes, procès dont il a arrêté la poursuite : peut-on désirer des preuves plus manifestes ?

Mais je ne doute pas, Romains, que je n’aie pleinement satisfait à ma tâche. Cependant j’irai plus loin encore : non pour que vous soyez plus convaincus que vous ne l’êtes sans doute, mais pour que l’accusé, mettant enfin des bornes à son audace, cesse enfin de croire qu’il peut acheter, ce qui pour lui fut toujours vénal, la bonne foi, les serments, l’équité, le devoir, la religion ; mais pour que ses amis cessent de dire ce qui pourrait nous nuire à tous dans l’esprit du peuple, nous rendre odieux, nous décrier, nous déshonorer. Eh ! quels sont ces amis ? Que l’ordre