Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/289

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dos vases admirables ; il menaçait Diodore absent ; il poussait des cris de rage ; des larmes même coulaient de ses yeux. Nous lisons dans la fable qu’Ériphyle, à la vue d’un collier d’or enrichi de pierreries, fut éprise d’une passion si violente que, pour l’obtenir, elle trahit et sacrifia son époux. Telle et plus violente et plus furieuse encore était la passion de Verrès. Ériphyle du moins avait vu ce qu’elle désirait ; mais Verrès se passionnait sur un ouï-dire, et les désirs entraient dans son âme par les oreilles comme par les yeux.

XIX. Il ordonne qu’on cherche Diodore dans toute la province. Diodore avait déjà fait retraite, il était sorti de la Sicile, emportant ses vases. Pour le forcer à reparaître, Verrès imagine cet expédient, ou plutôt ce chef-d’œuvre d’extravagance : il aposte un de ses limiers pour intenter un procès criminel à Diodore. D’abord la surprise est extrême. Diodore accusé ! lui, le plus paisible des hommes et le moins fait pour être soupçonné, je ne dis pas d’une action criminelle, mais même de la faute la plus légère. On reconnut bientôt que ses beaux vases faisaient tout son crime. Le préteur, sans balancer, reçut la dénonciation, et je crois que c’est la première qu’il ait admise contre un absent. Voilà donc toute la Sicile informée qu’on traduit devant les tribunaux ceux qui possèdent de beaux vases, et que l’absence même ne met pas à l’abri des poursuites judiciaires. Cependant Diodore était à Rome. Il se présente en habit de deuil chez ses patrons, chez ses hôtes : il leur raconte l’affaire. Le père de Verrès écrit à son fils dans les termes les plus énergiques. Ses amis lui mandent de prendre garde à ce qu’il fait ; qu’il se compromet étrangement vis-à-vis de Diodore ; que la vérité est connue ; que chacun est révolté ; qu’il a perdu la raison ; que, s’il n’y fait attention, cette affaire suffit pour le perdre. Quoique Verrès n’eût pas un profond respect pour son père, il daignait encore l’écouter ; il ne se voyait pas alors en état d’acheter le silence des lois. C’était la première année de sa préture : il n’avait pas encore accumulé autant de richesses que dans le temps de l’affaire de Sthénius. Il met donc un frein a sa fureur : contenu par la crainte plus que par la par honte, il n’ose condamner Diodore ; il l’efface, comme absent, de la liste des accusés. Celui-ci cependant se garda bien de rentrer en Sicile, tant que dura la préture de Verrès, c’est-à-dire, pendant près de trois ans. Siciliens, Romains, tous les autres s’étaient résignés : ils sentaient que sa cupidité se portant a de tels excès, il leur était impossible de conserver et de garder chez eux rien de ce qui aurait le malheur de lui plaire.

XX. Ils espéraient que Q. Arius viendrait le remplacer : la province l’attendait avec impatience. Quand ils virent leur attente déçue, ils comprirent qu’ils ne pourraient avoir de porte si bien fermée que sa cupidité ne sût l’ouvrir, de dépôt si bien caché que ses mains ne pussent l’atteindre. Ce fut alors qu’il enleva de petits chevaux d’argent très-renommés et d’un très-grand prix à un chevalier romain de la première distinction, à Cn. Calidius, dont il savait que le fils était à Rome sénateur et juge. Mais j’ai tort ; il ne les a pas enlevés : il les a achetés. Je me suis trop hasardé. Comme il va se pavaner sur ces petits chevaux ! Je les ai achetés ; je les ai payés. Je le crois, Verrès. Les registres même seront