Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

profaner un culte qui exige, dans les mères de famille et dans les vierges, une innocence et une pureté de mœurs irréprochable ?

XLVI. Est-ce donc la seule fois que, sur un simple oui-dire, il se soit enflammé pour ce qu’il n’avait pas vu ? non, certes ; mais parmi une foule de traits, je choisirai la spoliation d’un temple non moins révéré que celui de Catane. Les témoins vous en ont déjà parlé, dans la première action. Je vais vous rappeler ce fait.

L’île de Malte est séparée de la Sicile par un détroit assez large et d’un trajet périlleux. Dans cette île est une ville du même nom, où Verrès n’alla jamais, quoique pendant trois ans il en ait fait une fabrique d’étoffes à l’usage des femmes. Non loin de la ville, sur un promontoire, s’élève un ancien temple de Junon tellement révéré, que dans les guerres Puniques, durant lesquelles tant de flottes occupèrent ces parages, que de nos jours où ces côtes sont infestées par un si grand nombre de pirates, il est resté toujours inviolable. On rapporte même que la flotte de Masinissa ayant abordé dans ces lieux, l’amiral emporta du temple des dents d’ivoire d’une grandeur extraordinaire, et qu’à son retour en Afrique, il les offrit au roi. Celui-ci les reçut avec plaisir ; mais dès qu’il sut d’où elles venaient, il fit partir une galère à cinq rangs de rames, pour les reporter à Malte. Ou y grava cette inscription en caractères phéniciens : Le roi Masinissa les avait reçues imprudemment ; mieux informé, il les renvoya, et les fit replacer dans le temple. On y voyait encore une grande quantité d’ivoire, beaucoup d’ornements, entre autres deux Victoires, d’un goût antique et d’un travail précieux. Abrégeons ce récit. Verrès envoya des esclaves publics, et d’un seul coup de main, et par un seul ordre, tout fut enlevé à la fois.

XLVII. Quel est donc l’homme que j’accuse, que je poursuis devant ce tribunal, et sur qui vous allez prononcer ? Les délégués de Malte déclarent, au nom de leur ville, que le temple de Junon a été pillé, que Verres n’a rien laissé dans cette demeure sacrée ; que ce lieu, où les flottes ennemies ont abordé tant de fois, où les pirates hivernent presque tous les ans, que nul brigand, avant lui, n’a violé, que nul ennemi ne profana jamais, le seul Verrès l’a tellement dépouillé qu’il n’y reste absolument rien. Que faisons-nous ici ? accusé, accusateur, juges, quel rôle avons-nous à remplir ? Tous les faits portent avec eux leur évidence : on ne me laisse rien à prouver. On voit les dieux enlevés, les temples dévastés, les villes dépouillées ; et sur aucun de ces griefs, cet homme ne s’est laissé à lui-même ni le moyen de nier, ni la faculté de rien excuser ; je le démontre coupable sur tout ; il est convaincu par les témoins, condamné par ses propres aveux ; ses crimes sont publics et notoires : et cependant il reste ici, et cependant il écoute sans répondre la longue énumération de ses forfaits.

C’est m’arrêter trop longtemps sur un seul genre de délit ; je sens qu’il faut prévenir le dégoût et l’ennui. J’omettrai donc une infinité de faits. Mais renouvelez votre attention pour ce qui me reste à dire : je le demande, au nom des dieux