Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/309

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immortels, de ces dieux dont je venge la majesté outragée. Je vais vous dénoncer un crime qui a soulevé la province entière. Si je reprends les choses d’un peu haut, si je remonte à l’origine d’un culte, excusez-moi : l’importance du fait ne me permet pas de passer légèrement sur un sacrilège aussi atroce.

XLVIII. Une vieille tradition, appuyée sur les livres et les monuments les plus antiques de la Grèce, nous apprend que la Sicile entière est consacrée à Cérès et à Proserpine. Cette opinion des autres nations est pour les Siciliens un sentiment intime, une persuasion innée. Ils croient que ces déesses prirent naissance chez eux, que l’usage du blé fut inventé dans leur pays, et que Libéra, qu’ils appellent aussi Proserpine, fut enlevée dans le bois d’Enna. Ce lieu est le point central de la Sicile. Ils disent que Céres, voulant chercher sa fille, alluma des flambeaux aux feux de l’Etna, et que les portant elle-même à ses mains, elle parcourut tous les pays de l’univers.

Enna, qu’on prétend avoir été le théâtre de ces événements, est sur une hauteur qui domine tous les environs. Au sommet se trouve une plaine arrosée par des eaux qui ne tarissent jamais. La ville s’élève comme une pointe détachée : elle est partout environnée de lacs, de bois sacrés, où les fleurs les plus agréables se renouvellent dans toutes les saisons de l’année. Le seul aspect des lieux semble attester ce que nous avons appris dès notre enfance sur l’enlèvement de la jeune déesse. En effet, on aperçoit à peu de distance une caverne, ouverte au nord, et d’une profondeur incroyable. C’est de là, dit-on, que le dieu des enfers sortit tout à coup sur un char et vint enlever Proserpine. On ajoute que bientôt il s’enfonça dans la terre aux environs de Syracuse, et qu’à l’instant un lac se forma dans ce lieu. Chaque année les Syracusains y célèbrent des fêtes, qui attirent un concours immense d’hommes et de femmes.

XLIX. L’ancienneté de cette opinion, ces lieux où l’on retrouve les traces et comme le berceau de ces déesses, inspirent à tous les habitants, à toutes les villes de la Sicile, une vénération singulière pour la Céres d’Enna. Des prodiges sans nombre attestent son pouvoir et sa présence. Souvent, dans les circonstances les plus fâcheuses, elle leur a donné des secours éclatants ; en sorte qu’elle semble non-seulement chérir cette île, mais y résider et l’honorer d’une protection spéciale. Ce culte n’est point borné à la Sicile : les autres peuples et les autres nations rendent les hommages les plus signalés à la Cérès d’Enna. Si on s’empresse de se faire initier dans les mystères des Athéniens, parce que, dit-on, Cérès vint chez eux, et leur apporta le blé, lorsqu’elle cherchait sa fille dans toutes les parties du monde, quelle doit être la vénération des peuples chez qui cette déesse a reçu la naissance, et inventé l’usage de ce précieux aliment ! Dans des temps orageux et difficiles, lorsqu’après la mort de Tibérius Gracchus les prodiges annonçaient les plus grands dangers, nos ancêtres, sous le consulat de Mucius et de Calpurnius, ouvrirent les livres sibyllins ; ils y trouvèrent qu’il fallait apaiser la plus ancienne