Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/350

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d’hui qu’il est convaincu par des titres certains, par des témoins irréprochables, par des pièces authentiques.

XL. Dès qu’il voit que ces attestations ne lui seront d’aucun secours, il prend une autre résolution digne, non d’un magistrat inique, on pourrait encore le supporter, mais du plus fou, du plus atroce de tous les tyrans. Afin d’atténuer les preuves de ses prévarications (car il ne se flattait pas de les détruire entièrement), il se décide à faire périr les capitaines qui en ont été les témoins. Mais que faire de Cléomène ? Cette réflexion l’embarrassait. « Pourrai-je sévir contre des hommes à qui j’avais enjoint d’obéir, et absoudre celui à qui j’ai remis le commandement et l’autorité ? pourrai-je envoyer au supplice ceux qui ont suivi Cléomène, et faire grâce à Cléomène qui leur a donné l’ordre et l’exemple de la fuite ; déployer toute la rigueur des lois contre des gens qui n’avaient que des vaisseaux dégarnis et sans défense, et réserver toute mon indulgence pour le seul qui eût un vaisseau ponté et à peu près pourvu de matelots ? Que Cléomène périsse avec les autres… Mais la foi jurée à Nicé ! mais tant de serments ! mais tant de gages d’une tendresse réciproque ! mais tant de campagnes faites avec elle sur ce rivage délicieux ! » Il était impossible de ne pas sauver Cléomène. Il le fait venir, il lui dit qu’il a résolu de sévir contre tous les capitaines : que son intérêt le veut, que sa sûreté l’exige. Je ferai grâce à toi seul, et dût-on m’accuser d’inconséquence, je me charge de tout plutôt que d’être cruel envers toi, ou de laisser vivre tant de témoins qui me perdraient. Cléomène remercie le préteur ; il l’approuve, et dit qu’il n’a pas d’autre parti à prendre : cependant il l’avertit d’une chose qui lui était échappée ; c’est que Phalargue de Centorbe était sur le même vaisseau que lui, et ne peut par conséquent être compris dans la proscription générale. Quoi donc ! ce jeune homme d’une ville si considérable, d’une famille si distinguée, je le laisserai vivre, pour qu’il dépose contre moi ? Oui, pour le moment, il le faut, reprend Cléomène ; mais bientôt on saura lui ôter les moyens de nuire.

XLI. Ce plan ainsi arrêté, il sort du palais, le crime, la fureur, la cruauté empreinte sur tous les traits de son visage ; il arrive au forum, et fait appeler les capitaines. Ils viennent sans crainte et sans défiance. Soudain il ordonne qu’ils soient chargés de fers. Ces malheureux implorent la justice du peuple romain ; ils demandent la raison de ce traitement barbare. La raison ? dit Verrès ; vous avez livré la flotte aux pirates. On se récrie ; on s’étonne qu’il soit assez impudent, assez audacieux pour imputer à autrui un malheur dont sa propre avarice a été la cause ; que soupçonné lui-même d’intelligence avec les pirates, il accuse tes autres de trahison ; qu’enfin l’accusation n’éclate que le quinzième jour après la perte de la flotte. Tous les yeux cherchaient Cléomène, non que l’on crût devoir rendre cet homme, quel qu’il fût, responsable de ce désastre. En effet, qu’avait pu faire Cléomène ? car je ne veux accuser personne sans de justes raisons : je le répète, qu’avait-il pu faire avec des vaisseaux désarmés par l’avarice de Verrès ? Voici qu’au même instant on l’aperçoit assis à côté du préteur, lui parlant à l’oreille aussi familièrement qu’il avait coutume de le faire. Alors l’indignation fut générale. On était révolté de voir dans les fers des hommes honnêtes, l’élite de