Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous la hache, cette scène affreuse se retrace tout entière à mon âme indignée.

XLVII. Les habitants d’une province fidèle, les cultivateurs de ces terres qui, fécondées par leurs travaux, alimentent le peuple romain, ces hommes que leurs parents ont élevés dans l’espoir de les voir heureux à l’ombre de notre empire et de notre justice, étaient donc réservés à la cruauté de Verrès et à la hache de ses bourreaux ! Quand je songe à ce capitaine de Tyndare, à ce capitaine de Ségeste, ma pensée se reporte au même instant vers les droits et les services des cités qui les ont vus naître. Ces villes que Scipion l’Africain crut devoir enrichir des dépouilles ennemies, Verrès, non content de leur enlever ces honorables trophées, les prive même de leurs plus nobles citoyens. Voici ce que les habitants de Tyndare se font gloire de répéter : « Nous n’étions pas au nombre des dix-sept peuples qui combattirent pour la rivale de Rome. Dans toutes les guerres Puniques et Siciliennes, le peuple romain trouva toujours en nous des amis et des alliés inébranlables. En guerre, en paix, nos armes et nos moissons furent constamment au service des Romains. » Ah ! ces titres leur ont merveilleusement servi sous l’empire de ce tyran.

Scipion, leur répondrait Verrès, Scipion conduisit autrefois vos matelots contre Carthage ; aujourd’hui Cléomène conduit vos vaisseaux désarmés contre les pirates. Il plut au vainqueur de l’Afrique de partager avec vous les dépouilles des ennemis et le prix de ses victoires : aujourd’hui je vous dépouille vous-mêmes ; votre vaisseau est emmené par les pirates, et vous serez traités en ennemis. Et cette affinité des Ségestains, consacrée dans les fastes de l’histoire, constatée par une tradition antique, fortifiée et resserrée par tant de services rendus, quel fruit en ont-ils retiré sous la préture de Verrès ? le voici : Un jeune homme du plus grand mérite a été enlevé du sein de son père ; un fils innocent a été arraché des bras de sa mère, pour être livré à Sestius. Nos ancêtres accordèrent à Ségeste les terres les plus étendues et les plus fertiles ; ils voulurent qu’elle fût exempte de tout impôt ; et cette ville, si respectable par les titres sacrés de l’affinité, de la fidélité, de l’alliance la plus antique, n’a pas eu même le droit d’obtenir la vie d’un citoyen innocent et vertueux !

XLVIII. Juges, quel sera le refuge de nos alliés ? quel secours pourront-ils implorer ? quel espoir les attachera désormais à la vie, si vous les abandonnez ? Viendront-ils au sénat demander la punition de Verrès ? le soin de le punir ne regarde pas le sénat. La demanderont-ils au peuple romain ? le peuple les écartera d’un seul mot ; il leur dira qu’il a porté une loi en faveur des alliés, et qu’il vous a établis les garants et les vengeurs de cette loi. Ce tribunal est donc leur seul refuge ; c’est le port, l’asile, l’autel qu’ils doivent embrasser. Ils n’y viennent pas, comme autrefois, réclamer leurs biens et leurs fortunes ; ils ne redemandent point l’argent, l’or, les étoffes, les esclaves, les chefs-d’œuvre dont leurs villes et leurs temples ont été dépouillés. Ils craignent, dans leur simplicité, que le peuple romain ne permette et n’autorise ces brigandages. Depuis longtemps en effet nous souffrons, et nous souffrons en silence que les richesses de toutes les nations deviennent la propriété de quelques hom-