Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/356

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mes, et nous paraissons l’approuver d’autant plus que nul des coupables n’use de dissimulation, et ne se met en peine de pallier ses rapines. Parmi tous les chefs-d’œuvre qui décorent notre cité si brillante et si magnifique, est-il une statue, un tableau qui n’ait été conquis sur les ennemis vaincus ? Mais les campagnes de ces déprédateurs sont ornées et remplies des plus précieuses dépouilles de nos plus fidèles alliés. Ou sont en effet les richesses des nations maintenant réduites à l’indigence ? Pouvez-vous les demander, quand vous voyez Athènes, Pergame, Cyzique, Milet, Chio, Samos, l’Asie entière, l’Achaïe, la Grèce, la Sicile, renfermées dans un petit nombre de maisons de plaisance ? Mais je l’ai déjà dit, vos alliés abandonnent leurs richesses. Ils ont mérité par leurs services et leur fidélité de n’être pas dépouillés par le peuple romain : si quelquefois ils se sont vus trop faibles pour lutter contre la cupidité de certains prévaricateurs, ils étaient du moins assez riches pour y suffire. Il ne leur reste aujourd’hui ni la force de lui résister, ni les moyens de la satisfaire. Je le répète donc, ils renoncent à leurs propriétés. Devant un tribunal destiné à punir les concussionnaires, ils ne parlent pas de concussions : ils laissent tout, ils abandonnent tout. Et c’est dans cet état de dénuement qu’ils recourent à vous. Regardez, citoyens, regardez la détresse et la misère extrême de vos alliés.

XLIX. Ce Sthénius de Thermes, qui paraît ici les cheveux épars, les habits déchirés, a vu sa maison dépouillée tout entière. Verrès, il ne parle point de vos brigandages : le seul bien qu’il redemande, c’est sa propre existence. Votre scélératesse et vos fureurs l’ont enlevé à sa patrie, où ses vertus et ses bienfaits lui assignaient le premier rang. Dexion ne réclame point ce que vous avez enlevé soit à la ville de Tyndare, soit à lui-même. Malheureux père ! il vous demande son fils unique, son fils innocent et vertueux. Peu lui importent les restitutions qu’il a droit d’attendre ; ce qu’il désire, c’est d’emporter votre condamnation, pour consoler enfin les mânes de son fils. Cet Eubulide, courbé sous le poids des ans, n’a pas exposé sa vieillesse aux fatigues d’un si long voyage dans l’espoir de recueillir quelques débris de sa fortune, mais pour que ses yeux, qui ont vu couler le sang de son fils, voient aussi la punition de son bourreau.

Si Métellus l’avait permis, vous auriez devant vous les mères, les femmes, les sœurs de ces infortunés. La nuit où j’entrai dans Héraclée, une d’elles vint à ma rencontre, à la clarté des flambeaux, accompagnée de toutes les mères de famille ; et m’appelant son libérateur, nommant Verrès son bourreau, répétant le nom de son fils ; cette femme, abîmée de douleur, restait étendue à mes pieds, comme s’il eût été en mon pouvoir de le rappeler à la vie. Les autres villes m’offrirent le même spectacle. Juges, partout la vieillesse et l’enfance sollicitaient mon zèle et ma sensibilité, partout elles imploraient votre justice et votre compassion.

Aussi parmi toutes les autres plaintes des Siciliens, c’est surtout celle-là qu’ils m’ont chargé de vous faire entendre. Leurs larmes, et non le désir de la gloire, m’ont déterminé à prendre leur défense. J’ai voulu que les condamnations injustes, que les cachots, les fers, les verges, les ha-