Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/370

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injurieuse à votre honneur; mais la folle espérance de Verrès et son impudence insigne l’ont rendue nécessaire. Si donc il se commet ici quelque prévarication, ou le peuple romain prononcera lui-même sur cet homme qu’il a déjà déclaré indigne d’être jugé par les tribunaux, ou la cause sera portée devant ces nouveaux juges, qu’une nouvelle loi aura constitués pour juger ceux qui ont perdu la confiance publique.

LXX. Sans qu’il soit besoin de le dire, est-il un seul mortel qui ne sente à quelles extrémités il faudra que je me porte? Pourrai-je me taire, Hortensius? pourrai-je dissimuler, lorsque les provinces auront été pillées; les alliés opprimés; les dieux immortels, dépouillés; les citoyens romains livrés au supplice et à la mort, sans que j’aie pu, en accusant l’auteur de tant de forfaits, venger ces horribles attentats contre la république? Pourrai-je me croire quitte de mon devoir, en souscrivant à ce jugement, ou tarder longtemps à porter mon appel devant d’autres juges? ne faudra-t-il pas reprendre cette affaire, la reproduire sous les yeux du public? implorer la justice du peuple romain? appeler en jugement les hommes assez vils pour s’être laissé corrompre, et les hommes assez pervers pour les avoir corrompus?

Eh quoi! me dira-t-on, vous voulez donc vous dévouer à tant de travaux et vous charger du fardeau de tant d’inimitiés? Certes, il n’est ni dans mon caractère, ni dans mon intention de les provoquer; mais je n’ai pas le droit de vivre comme ces nobles que tous les bienfaits du peuple romain viennent chercher dans le sommeil de leur oisiveté. Ma situation n’est pas la même, et ma conduite doit être différente. Caton est présent à ma pensée. Ce grand citoyen, tenant pour principe que c’est la vertu, et non la naissance, qui doit nous recommander au peuple romain, et voulant commencer lui-même sa noblesse et devoir à lui seul la perpétuité de son nom, brava les inimitiés des hommes les plus puissants. Sa vie entière fut une lutte; et son infatigable vieillesse fut comblée d’honneurs et de gloire.

Après lui, Q. Pompéius, d’une naissance obscure, ne s’est-il pas élevé aux plus éminentes dignités, à force de combattre des ennemis puissants, de supporter les travaux et de surmonter les dangers? Et de nos jours, c’est en luttant contre les haines, c’est en brisant les résistances que Fimbria, que Marius, que Célius, sont parvenus à ces honneurs, où vous avez été portés du sein de la mollesse et des plaisirs. Ces hommes célèbres m’ont tracé la route que je veux suivre, et ce sont là les modèles que je me fais gloire d’imiter.

LXXI. Nous voyons à quel point la vertu et les efforts des hommes nouveaux excitent la jalousie et la haine de certains nobles. Pour peu que nous détournions les yeux, mille piéges sont tendus autour de nous; si nous donnons lieu au soupçon et au reproche, nous sommes frappés à l’instant même. Il nous faut toujours veiller, toujours être en action. Eh bien ! que les inimitiés, que les travaux ne nous effrayent pas. Après tout, les inimitiés sourdes et cachées sont plus à craindre que les haines ouvertes et déclarées. A peine un seul de ces nobles est-il favorable à nos efforts : nous ne pouvons, par aucun service, gagner leur bienveillance; et comme s’ils étaient d’une autre nature et d’une espèce différente, leurs sentiments et leurs volontés sont en opposition avec