Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bienveillance, de méconnaître leur autorité, et de résister à leurs désirs.

II. C'est par toutes ces considérations, que je me trouve chargé de cette cause. Je n'ai point été choisi comme l'orateur le plus habile : j'étais celui de tous qui pouvait parler avec le moins de danger. On ne s'est pas flatté de donner à Sextus tout l'appui dont il a besoin : on a voulu qu'il ne fût pas entièrement abandonné.

Peut-être demanderez-vous quel est donc cet effroi, quelle est cette terreur qui empêche tant d'illustres orateurs de défendre, comme ils l'ont fait jusqu'ici, la fortune et la vie d'un citoyen ? Il n'est pas étonnant que vous l'ignoriez encore : nos accusateurs ont pris soin de taire la vraie cause de ce procès.

Quel en est l'objet? Ce sont les biens du père de Sextus. Ces biens, dont la valeur est de six millions de sesterces, un jeune homme aujourd'hui tout puissant dans Rome, L. Cornelius Chrysogonus, dit les avoir achetés deux mille sesterces, d'un citoyen célèbre par sa valeur et ses exploits, et dont je ne prononce le nom qu'avec respect, de L. Sylla. Comme il s'est emparé sans nul droit de cette fortune opulente, et que la vie de Sextus semble le gêner dans sa jouissance, il demande que vous calmiez ses inquiétudes et que vous le délivriez de toute crainte. Il ne sera jamais tranquille, tant que Sextus vivra : s'il parvient à le faire condamner et à le faire disparaître, il se flatte de pouvoir alors dissiper et consumer, par le luxe, des richesses acquises par le crime. Il veut que vous le soulagiez de ce poids qui l'oppresse et le fatigue le jour et la nuit, et que vous lui prêtiez votre secours, pour que cette horrible proie lui soit assurée. Quelles que puissent être la justice et l'honnêteté de cette requête, je vais en deux mots en présenter une autre qui sera, j'ose le croire, un peu plus équitable.

III. D'abord, je demande à Chrysogonus qu'il se contente de notre argent et de nos biens, sans vouloir notre sang et notre vie. Et vous, juges, je vous supplie de résister à l'audace des scélérats, de secourir l'innocence opprimée, et d'écarter, en la personne de Sextus, un danger qui menace tous les citoyens.

Si l'on aperçoit dans cette accusation un indice, un soupçon, l'ombre mëme d'un prétexte; si enfin vous y découvrez un autre motif que ces biens dont ils se sont emparés, je consens que la vie de Sextus soit abandonnée à leur capricieuse fureur; mais s'il ne s'agit ici que d'assouvir une cupidité toujours insatiable, si le seul but de tant d'efforts est de mettre le comble à leurs forfaits, par la condamnation de l'homme qu'ils ont dépouillé, ah ! n'est-ce pas la plus révoltante de toutes les indignités, qu'ils vous aient présumés capables de leur garantir, par vos suffrages et par la sainteté de vos arrêts, la possession de ce qu'ils ont su jusqu'à présent se procurer eux-mêmes par le crime et par le fer? Vos vertus vous ont ouvert l'entrée du sénat; votre intégrité vous a mérité d'être choisis entre tous les sénateurs pour siéger sur cet auguste tribunal; et c'est à vous que des