Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/39

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sicaires et des gladiateurs osent demander, je ne dis pas seulement d'échapper au supplice qu'ils méritent et qu'ils doivent attendre en tremblant, mais même de sortir de ce jugement comblés et chargés des dépouilles de Roscius !

IV. Je sens qu'en dévoilant de telles atrocités, je ne puis m'exprimer avec assez d'énergie, me plaindre avec assez de véhémence, éclater avec assez de liberté. La faiblesse de mes talents, ma jeunesse, les circonstances ne me permettent ni cette énergie, ni cette véhémence, ni cette liberté qu'exige ma cause. À ces obstacles se joint encore la crainte que m'inspirent ma timidité naturelle, votre aspect imposant, le pouvoir de mes adversaires, et les dangers de Sextus. Je réclame donc instamment votre attention et votre bienveillance.

Plein de confiance dans votre probité et dans votre sagesse, je me suis chargé d'un fardeau que je sens au-dessus de mes forces. Si vous daignez seconder mes faibles efforts, mon zèle et mon travail me mettront peut-être en état de le soutenir. Si, ce que je ne puis croire, vous me refusez votre appui, mon courage du moins ne m'abandonnera pas; je persisterai aussi longtemps qu'il me sera possible, et s'il faut succomber, j'aime mieux périr accablé sous le poids de mon devoir que de me montrer ou lâche ou parjure. Et vous, Fannius, je vous en supplie, déployez aujourd'hui ce grand caractère que le peuple romain a déjà connu en vous lorsque, dans ce même genre de cause, vous avez rempli les augustes fonctions de la présidence.

V. Vous voyez quelle foule s'empresse pour assister à ce jugement; vous savez quels sont les vœux de tous les citoyens, et qu'ils attendent de vous un arrêt juste et sévère. C'est la première fois, depuis longtemps, qu'une accusation de meurtre est portée devant les tribunaux, quoique depuis longtemps on ait vu commettre les meurtres les plus indignes et les plus atroces. Chacun espère que, sous votre préture, ce tribunal fera justice des assassinats qui chaque jour se renouvellent sous nos yeux. Dans les autres causes, les accusateurs réclament la rigueur des jugements; ici, ce sont les accusés qui supplient les juges d'être inexorables. Oui, Fannius, et vous, juges, nous vous conjurons de sévir sans pitié contre les forfaits, d'opposer une résistance inflexible à l'audace la plus effrénée : songez que si, dans cette cause, vous ne montrez toute la fermeté dont vous êtes capables, la cupidité, la scélératesse et l'audace sont portées à un tel excès, que les meurtres se commettront, non plus en secret, mais ici même, dans le forum, devant ce tribunal, oui, Fannius, oui, juges, à vos pieds, sur les bancs où vous siégez.

Eh! que se propose-t-on dans ce procès, si ce n'est de pouvoir les commettre avec impunité ? Les accusateurs sont les hommes qui ont envahi les biens de Roscius, les hommes qui sont devenus riches par la mort du père, les hommes qui ont cherché à faire périr le fils, les hommes enfin que le peuple appelle au supplice. L'accusé est celui à qui ils n'ont laissé que l'indigence, celui que la mort d'un père a condamné aux larmes et réduit à la misère, celui qui vient à cette audience avec une escorte, afin de n'être pas égorgé dans ce lieu même, sous vos yeux, celui