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PLAIDOYER POUR A. CÉCINA.

DISCOURS ONZIÈME.


INTRODUCTION.

Marcus Fulcinius, de la ville de Tarquinies, qui exerçait la banque à Rome, avait épousé Césennia. Il lui laissa, en mourant, l’usufruit de tous ses biens, dont elle devait jouir avec son fils, qu’il institua son héritier. Ce fils mourut ; il légua à sa mère une grande partie de ses biens, et à sa femme une somme considérable. Les biens furent vendus, et Césennia chargea un nommé Sextus Ébulius, qui faisait ses affaires, d’acheter une terre en son nom. Césennia épousa Cécina ; elle mourut, et le fit son héritier. Ébutius prétendit avoir acheté en son propre nom la terre achetée au nom de Césennia, et il s’en empara. Cécina lui dispute cette terre ; il convient que, suivant les formalités d’usage (moribus), il se présentera avec ses amis sur la terre en litige, que chassé par Ébutius, il demandera au préteur d’être remis en possession de cette terre. Il se présente donc ; mais Ébutius, avec des gens armés, l’empêche d’y entrer. Cécina se plaint au préteur Dolabella ; il en obtient une ordonnance, interdictum, pour être rétabli dans la terre d’où il a été chassé par la violence et les armes. On appelait interdictum une espèce d’ordonnance provisoire, en attendant la sentence qui prononcerait à qui appartenait la terre. Ébutius prétendait qu’il n’était pas dans le cas de l’ordonnance ; qu’il n’avait pas chassé Cécina d’une terre où il n’était pas entré ; que d’ailleurs Cécina, étant de la ville municipale de Volaterre, ne pouvait être héritier de Césennia, les habitants de cette ville ayant été dépouillés par Sylla des droits de cité romaine.

Cicéron, après deux premières actions, où les juges avaient demandé un plus ample informé, plaide une troisième fois pour Cécina contre Ébutius. On ne sait pas quel fut l’arrêt. Il est probable cependant, si l’on en juge par la reconnaissance que Cécina témoigne à l’orateur (Ep. fam., VI, 7), qu’il obtint une sentence favorable. Les Lettres nous apprennent aussi (Ibid, VI, 5, 6, 8 ; XIII, 66) que le client de Cicéron embrassa depuis, dans la guerre civile, le parti de Pompée ; qu’il combattit, qu’il écrivit même contre César, et qu’après la défaite de Pharsale il trouva encore dans Cicéron un fidèle protecteur, qui le recommanda au proconsul d’Asie, P. Servilius, et sollicita de César son retour de l’exil.

L’époque de ce Discours étant incertaine, il est indifférent dans quel ordre on le place. On le croit, ainsi que celui pour Fontéius, postérieur à la loi judiciaire d’Aurélius Cotta, qui fut portée l’an de Rome 683, l’année même du procès de Verrès, et qui donnait aux chevaliers romains et aux tribuns du trésor une part dans l’administration de la justice. Si l’on suppose qu’ils sont de l’année suivante, Cicéron, âgé de trente huit ans, était alors édile.


I. Si l’impudence avait autant de pouvoir devant les tribunaux et les juges que l’audace peut en avoir dans la solitude d’une campagne, A Cécina céderait aujourd’hui devant vous à l’impudence de Sext. Ébutius, comme il a cédé auparavant à son audace et à sa violence. Mais s’il a cru qu’il était d’un homme sage de ne point décider par les armes ce qui devait l’être par la justice, il croit qu’il est d’un homme ferme d’obtenir devant les tribunaux une victoire qu’il n’a pas voulu disputer sur un champ de bataille. Oui, Ébutius me paraît aussi impudent aujourd’hui, qu’il s’est montré audacieux à la tête de ses satellites. Car, c’est déjà une marque d’impudence, après un délit aussi manifeste, d’oser se présenter au tribunal ; trait ordinaire néanmoins dans nos mœurs actuelles. Mais il va plus loin encore ; il avoue ce qu’on lui reproche. Peut-être a-t-il fait ce raisonnement : Je n’aurais pu réussir à retenir le bien d’autrui, si je n’eusse employé qu’une violence simulée ; et Cécina, saisi de frayeur, ne s’est enfui avec ses amis, que parce que la violence a été faite contre tout droit et tout usage ; il en sera de même ici : mes adversaires auront l’avantage, si l’on plaide la cause suivant les formes et la coutume ; mais si l’on s’en éloigne, je serai d’autant plus fort que j’agirai plus effrontément. Croit-il donc que l’effronterie lui sera aussi utile dans une contestation judiciaire, que la hardiesse dans une attaque violente ? croit-il que nous n’avons pas