Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/390

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alors cédé plus volontiers à l’audace, afin d’opposer plus facilement aujourd’hui les lois à son impudence ? Aussi, magistrats, dans cette action je suivrai un tout autre plan que celui que j’avais adopté en commençant. Alors tout notre espoir était dans la défense ; il est aujourd’hui dans les aveux de la partie adverse. Nous comptions alors sur nos témoins ; nous comptons maintenant sur les siens. Je les craignais alors ; car s’ils n’avaient pas de probité, ils pouvaient attester le faux ; ou s’ils étaient reconnus honnêtes, ils pouvaient faire recevoir comme vrai ce qu’ils auraient attesté : à présent je suis tranquille : ou ils ont de l’honneur, et ils me seront favorables ; car leur serment appuiera mon accusation : ou ils méritent peu d’estime, et ils ne sauraient m’être contraires ; car, si on les croit, on les croira sur l’objet de l’accusation même ; et si on ne les croit pas, les témoins de l’adversaire sont dès lors réputés suspects.

II. Toutefois, quand j’examine la conduite de nos adversaires, dans cette cause, je ne vois pas qu’on puisse montrer plus d’impudence ; mais quand je songe à votre indécision, j’appréhende que, sous ces dehors d’impudence, ils ne déguisent leur adresse et leur politique. En effet, s’ils eussent nié la violence à main armée, la déposition de témoins irréprochables les aurait convaincus facilement de mensonge ; au lieu qu’en avouant qu’ils ont pu faire alors ce qui n’est permis en aucun temps, ils ont espéré, et cette espérance n’a pas été déçue, qu’ils vous donneraient quelque scrupule, qu’ils vous engageraient à un nouvel examen, à de nouveaux délais. Ils ont osé croire aussi, et c’est là le plus odieux ! que, dans cette cause, il ne serait pas question de prononcer sur l’audace d’Ébutius, mais sur un point de droit civil. Si je n’avais ici qu’à défendre Cécina, je m’en croirais suffisamment capable ; je pourrais répondre de mon zèle et de mon exactitude, qualités qui dispensent d’un talent supérieur, surtout dans une affaire aussi claire et aussi simple : mais comme j’ai à parler d’une jurisprudence qui intéresse tout le monde, jurisprudence établie par nos ancêtres, et conservée jusqu’à ce jour ; comme, en la détruisant, on donne atteinte à une partie du droit civil, on confirme même par un jugement ce qu’il y a de plus contraire au droit, je veux dire la violence ; la cause, sans doute, demande beaucoup de talent, non pour démontrer ce qui est visible, mais pour empêcher que, si l’on vous fait illusion sur un point aussi grave, on ne s’imagine que c’est plutôt moi qui ai manqué à ma cause, que vous à vos serments et à votre devoir de juges. Cependant je me persuade, magistrats, que, si vous avez renvoyé deux fois la même cause à un plus ample informé, c’est moins par l’obscurité et l’incertitude du droit, que parce que vous vouliez prendre du temps, avant de décider contre Ébutius une affaire qui intéresse son honneur, et lui en donner aussi pour qu’il rentre en lui-même. Ces délais sont passés en coutume ; c’est un usage suivi par des juges intègres, par des hommes qui vous ressemblent ; il y a peut-être moins de reproches à vous faire, mais aussi bien plus de motifs de déplorer un tel abus. En effet, les tribunaux sont établis, ou pour vider les différends, ou pour punir les crimes. L’un de ces deux objets est de moindre conséquence, parce qu’il s’ensuit un moindre