Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/440

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cachée pour leur être inconnue ? qui osa se mettre en mer sans risquer sa vie ou sa liberté, alors qu’il fallait ou naviguer pendant l’hiver, ou affronter les pirates qui infestaient les mers en toute autre saison. Cette guerre difficile, honteuse et interminable, occupant mille points divers et dispersant au loin ses ravages, espérait-on jamais qu’elle pût être achevée en une seule année par tous nos généraux, ou par un seul général dans tout le cours de sa vie ? Quelle province, pendant ces années fatales, avez-vous mise à couvert des insultes ? sur quel revenu avez-vous pu compter ? quels alliés avez-vous défendus ? qui vos flottes ont-elles protégé ? combien d’îles, selon vous, ont été abandonnées ; et combien de villes alliées devenues désertes par la crainte des pirates, ou tombées entre leurs mains ?

XII. Mais pourquoi vous rappeler des faits qui se sont passés loin de nous ? Ce fut jadis, ce fut la gloire particulière du peuple romain, de porter la guerre loin de son pays, et d’employer les forces de l’empire à défendre les fortunes de ses alliés, et non ses propres foyers. Dirai-je qu’en ces derniers temps la mer fut fermée à nos alliés, lorsque nos armées elles-mêmes n’osaient franchir le détroit de Brindes qu’au milieu de l’hiver ? Me plaindrai-je que les envoyés des nations étrangères ont été pris en venant vers vous, quand il nous a fallu racheter des ambassadeurs du peuple romain ? Dirai-je que la mer n’était point sûre pour notre commerce, lorsque douze faisceaux sont tombés au pouvoir des pirates ? Rappellerai-je la prise de Gnide, de Colophon, de Samos, et de tant d’autres villes célèbres, quand vous savez que nos ports, et ces ports même d’où vous tirez la subsistance et la vie, ont subi ce joug déshonorant ? Ignorez-vous que le port de Caïete, si fréquenté et si rempli de vaisseaux, fut pillé par ces forbans, sous les yeux d’un préteur, et qu’à Misène ils enlevèrent au préteur lui-même, qui les avait combattus auparavant dans ces parages, ses propres enfants ? Dois-je encore déplorer les désastres d’Ostie, cette honte de la république et notre ignominie, quand, presque sous vos yeux, la flotte confiée à la surveillance d’un consul du peuple romain, fut prise par les pirates et coulée à fond ? Ô dieux immortels ! la valeur incroyable, le génie d’un seul homme, ont-ils pu en si peu de temps répandre un tel éclat sur la république, qu’après avoir vu une flotte ennemie à l’embouchure du Tibre, vous n’entendiez plus parler aujourd’hui de la présence audacieuse d’un seul corsaire sur tout l’Océan !

Quoique vous sachiez avec quelle rapidité il a exécuté ces prodiges, je ne dois pas moins vous en retracer le souvenir. Quel homme, entraîné par la nécessité des affaires, ou par l’ardeur de s’enrichir, se transporta jamais en si peu de temps sur tant de points divers, et acheva tant de courses aussi rapidement que nous avons vu la guerre et tout son appareil courir les mers sous les ordres de Pompée ? En effet, Pompée, avant la saison favorable à la navigation, passe en Sicile, visite l’Afrique, de là revient en Sardaigne, et pourvoit à la sûreté de ces trois provinces nourricières de la république, en y laissant de très-fortes garnisons et des escadres : de retour en Italie, et après avoir pris les mêmes précautions à l’égard des deux Espagnes, de la Gaule