Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/45

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justifié, lorsqu’il a dit que Sextus n’a presque jamais assisté à aucun festin. En aucun temps il n’a contracté de dettes. Enfin, quelles peuvent être les passions d’un homme à qui l’accusateur lui-même reproche d’avoir toujours habité les champs et cultivé la terre, genre de vie qui laisse le moins d’empire aux passions et qui s’accorde le mieux avec la régularité des devoirs ? Quel motif l’a donc porté à cet excès de fureur ? Son père, dit-on, ne l’aimait pas. Son père ne l’aimait pas ? Et pourquoi ? car il faut qu’il y ait une cause juste, forte, évidente. S’il est incroyable qu’un fils ait tué son père, sans une foule de puissants motifs, on ne croira pas davantage qu’un père ait détesté son fils, sans être entraîné par un grand nombre de raisons fortes et irrésistibles.

Suivons donc ce raisonnement, et cherchons quels vices ont pu rendre un fils unique odieux à son père. Or, on ne lui connaît aucun vice. Le père était donc un insensé de haïr sans sujet celui auquel il avait donné la vie ? Mais c’était le plus raisonnable des hommes. Il en faut conclure que le père n’étant pas un insensé, et le fils n’ayant pas de vices, ils n’ont eu aucun motif, l’un pour haïr son fils, l’autre pour assassiner son père.

XV. J’ignore, dit Érucius, le motif de cette haine ; mais elle existait : car, tant que son fils aîné a vécu, Roscius voulut toujours l’avoir auprès de lui ; il avait relégué Sextus dans ses terres. Ici j’éprouve le même embarras qu’Érucius. Il ne trouvait rien pour soutenir une accusation absurde et chimérique ; et moi, je cherche vainement les moyens de réfuter et de détruire des objections aussi frivoles.

Comment, Érucius, c’était pour exiler son fils, c’était pour le punir, que Roscius lui avait confié l’administration de tant de terres si belles et d’un si grand rapport ? Quoi ! les chefs de famille qui ont des enfants, et surtout les propriétaires de nos provinces agricoles, ne sont-ils pas au comble de leurs vœux quand leurs fils s’occupent de l’économie rurale, et consacrent leurs soins et leurs travaux à la culture des terres ?

Roscius avait-il relégué son fils dans une campagne, pour qu’il y vécût privé de tous les agréments de la vie ? Mais s’il est prouvé que le fils présidait à l’administration des biens, que le père même lui avait abandonné le revenu de certains domaines, cette vie active et champêtre, l’appellerez-vous encore un exil et un bannissement ? Vous voyez, Érucius, combien peu votre raisonnement s’accorde avec le fait en lui-même, et avec la vérité des principes. Ce que les pères ont coutume de faire, vous le réprouvez comme une nouveauté ; une marque de bienveillance est à vos yeux un signe de haine, un témoignage de confiance est un châtiment. Vous ne le croyez pas vous-même ; mais, dénué de toute espèce de preuve, vous êtes réduit, pour dire quelque chose, à blesser les premières notions du sens commun, à démentir les usages et les opinions universellement reçues.

XVI. Mais, dites-vous, Roscius gardait près de lui l’aîné de ses enfants ; il laissait l’autre à la campagne. De grâce, Érucius, ne vous offensez