Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/46

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pas de ce que je vais dire : ce n’est point une satire que je veux faire, je veux seulement raisonner avec vous. Si la fortune vous a refusé le bonheur de connaître l’auteur de vos jours, et d’apprendre de lui quelle est la force de l’amour paternel, la nature du moins a mis en vous d’heureuses dispositions : vous les avez cultivées par l’étude, et les lettres ne vous sont pas étrangères. Eh bien ! empruntons un exemple des pièces de théâtre. Pensez-vous que le vieillard de Cécilius ait moins d’estime pour son fils Eutyche, qu’il laisse à la campagne, que pour son autre fils Chérestrate, c’est ainsi, je crois, qu’on l’appelle ? S’il garde celui-ci à la ville, est-ce pour le récompenser ? a-t-il relégué l’autre aux champs pour le punir ? Laissons là ces frivolités, dites-vous. Eh ! me serait-il bien difficile de nommer dans ma tribu, et parmi mes voisins, une foule de pères de famille qui désirent que ceux de leurs fils qu’ils affectionnent le plus s’adonnent uniquement à l’agriculture ? Mais il y a plus que de l’indiscrétion à citer des personnes connues, sans savoir si elles veulent qu’on les nomme. D’ailleurs, nul ne serait plus à votre connaissance que cet Eutyche : et certes il est indifférent que je cite le jeune homme de Cecilius, ou quelque habitant de la campagne de Véies. Les poètes n’ont créé ces fictions que pour nous présenter, dans des personnages étrangers, la peinture de nos mœurs et l’image de la vie ordinaire. Revenez donc à la vérité. Considérez, non seulement dans l’Ombrie et ses environs, mais encore dans tous nos anciens municipes, quels genres d’occupations sont le plus estimés par les pères de famille ; et vous verrez que, faute d’inculpations réelles, vous faites un reproche à Sextus de ce qui lui fait le plus d’honneur.

XVII. Et ce n’est pas seulement pour complaire à leurs parents que de jeunes citoyens s’adonnent à l’agriculture. J’en connais, et sans doute chacun de vous en connaît un grand nombre, qui s’y livrent par goût et par passion, qui regardent comme la plus honnête à la fois et la plus agréable cette vie champêtre, qu’on nous objecte comme un opprobre, et dont on fait la base d’une accusation. Vous ne savez pas, Érucius, quelle est l’ardeur de Sextus, et quel est son talent en ce genre. Si j’en crois tous ses parents que vous voyez à cette audience, vous n’êtes pas plus habile dans votre métier d’accusateur qu’il ne l’est dans l’art de l’agriculture. Grâce à Chrysogonus qui ne lui a pas laissé une seule métairie, il peut désormais oublier son talent, et renoncer à ses inclinations. Ce malheur et cette indignité, quels qu’ils soient, il saura les souffrir, si du moins le tribunal lui conserve l’honneur et la vie. Mais ce qui ne peut être supporté, c’est que le nombre et la bonté de ses terres soient la cause de sa perte ; c’est qu’on ne lui pardonne point d’avoir amélioré ses domaines, et qu’enfin, comme s’il n’était pas assez malheureux de les avoir cultivés pour d’autres, on lui fasse même un crime de les avoir cultivés.

XVIII. Certes, Érucius, une telle accusation eût été ridicule dans les temps où les consuls étaient tirés de la charrue. Puisque la culture des terres vous semble un opprobre, sans doute vous n’auriez vu qu’un être vil et méprisable dans cet Attilius, que les messagers du sénat trouvèrent ensemençant lui-même son champ. Nos ancêtres pensaient bien autrement d’Attilius, et des hom— mes qui lui ressemblaient. Aussi notre république, si faible, si bornée dans son origine, a-t-elle été