Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/453

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publique, et ce que nous appelons procès criminel. Le tribunal était présidé par Q. Voconius Naso, préteur ( ou peut-être seulement juge de la question ), et composé de jurés choisis, d’après la loi Aurélia rendue en 683, parmi les sénateurs, les chevaliers et les tribuns du trésor. Oppianicus avait été jugé en 679, sous l’empire de la loi Cornelia, qui n’admettait aux fonctions de jurés que les seuls sénateurs.


I. J’ai remarqué, juges, que deux parties composent tout le discours de notre accusateur. L’une m’a paru s’appuyer, avec toute la confiance d’un triomphe certain, sur les préventions depuis longtemps élevées contre l’arrêt de Junius. L’autre aborde avec une défiance timide, et seulement pour obéir à l’usage, les accusations d’empoisonnement soumises à ce tribunal. Mon dessein est de suivre le même plan dans ma défense, et de montrer en combattant d’abord la prévention, ensuite les accusations, que je n’ai voulu ni rien éluder par mon silence, ni rien déguiser par mes discours. Mais lorsque je réfléchis à la manière dont je dois traiter chaque partie de mon sujet, il me semble que je pourrai en très peu de mots et sans beaucoup d’efforts vous éclairer sur la question d’empoisonnement, la seule dont la loi vous constitue les juges. Quant à l’autre question, étrangère à ce procès, et faite pour être agitée dans le tumulte d’une assemblée séditieuse bien plutôt que dans le calme imposant d’un jugement solennel, elle est, je le sens, hérissée de difficultés, et veut pour être éclaircie de pénibles efforts. Une chose cependant m’encourage et m’affermit contre tant d’obstacles. C’est qu’il n’en est pas des erreurs de l’opinion comme du fond de la cause. Quand on discute devant vous les véritables griefs, vous en exigez la réfutation complète, sans vous croire obligés de donner au salut de l’accusé plus d’intérêt que n’auront su vous en inspirer les discours de son défenseur et les preuves de son innocence. Mais quand il s’agit de prévention, vos réflexions suppléent à nos paroles, et vous devez prononcer moins sur ce que nous disons, que sur ce qu’il nous faudrait dire. En effet, l’accusation ne menace que le seul Cluentius ; mais il n’est personne qui ne doive redouter les injustices de la prévention. Ainsi, dans la seconde partie de ma cause je tâcherai d’éclairer vos consciences ; dans la première, je vous adresserai des prières. Dans l’une, j’aurai besoin de votre attention ; dans l’autre, c’est votre protection que j’implorerai. Qui pourrait, en effet, sans l’appui de juges tels que vous, résister aux attaques de la haine et de la calomnie ? Pour moi, je ne sais en ce moment de quel côté diriger mes efforts. Nierai-je le reproche de corruption dont on flétrit un jugement trop fameux ? nierai-je un fait soutenu dans les assemblées du peuple, débattu devant les tribunaux, porté à la connaissance du sénat ? pourrai-je arracher des esprits un préjugé si universel, si invétéré, qui a jeté de si profondes racines ? Non, juges, ce n’est point mon talent, c’est votre générosité qui, tendant à l’innocence de Cluentius une main secourable, la sauvera de ce déchaînement de l’opinion, comme d’un incendie prêt à nous envelopper tous de ses flammes dévorantes.

II. En effet, si partout ailleurs la vérité est sans force et sans appui, devant vous la haine et l’imposture doivent être impuissantes. Qu’elles triomphent dans les assemblées du peuple, mais qu’elles expirent devant les tribunaux ; qu’elles règnent dans les esprits et les discours d’une foule