ignorante, mais qu’elles soient repoussées par le bon sens des hommes éclairés ; qu’elles fassent en se produisant d’abord, un éclat scandaleux, mais qu’avec le temps et la réflexion leur feu s’amortisse et s’éteigne. En un mot, observons cette maxime de nos ancêtres, qui seule peut faire des jugements équitables : punir sans haine quand le crime existe, oublier toute prévention quand il n’existe pas. C’est pourquoi, juges, avant de commencer la défense de mon client, je vous demande d’abord comme une justice de n’apporter ici aucun préjugé. En effet, nos arrêts perdraient leur autorité, et nous ne serions plus les organes des lois, si, au lieu de prononcer dans cette enceinte même, après avoir entendu la cause, nous y venions avec des jugements tout préparés. Que si vos esprits sont déjà prévenus de quelque opinion, qui vienne à être combattue par la raison, ébranlée par mes discours, arrachée enfin de vos âmes par la vérité, ne résistez pas à l’évidence ; laissez, sinon avec plaisir, au moins sans regret, s’effacer de trop fâcheuses impressions. Enfin lorsque je parlerai sur chacun des faits et que je les réfuterai, je vous conjure de ne pas vous faire contre nous d’objections secrètes, mais d’attendre jusqu’à la fin, de me permettre de suivre le plan que je me suis tracé, et quand j’aurai fini, de me demander alors les éclaircissements que j’aurais oubliés.
III. Je sens que j’aborde une cause combattue sans relâche, depuis huit ans entiers, par le parti contraire, une cause déjà presque jugée tacitement, et condamnée par l’opinion publique. Mais si quelque dieu me concilie votre attention et votre bienveillance, je vous démontrerai, sans doute, qu’il n’est rien de si redoutable pour l’homme que la prévention ; rien de si désirable pour l’innocent qu’elle poursuit, qu’un jugement impartial : car c’est devant ses juges, et devant eux seulement, qu’il peut trouver enfin le terme d’une injuste diffamation. C’est pourquoi, si je puis développer à vos yeux tous les moyens que me fournit cette cause, j’ai le plus grand espoir que ce tribunal auguste, à la vue duquel, si l’on en croit nos ennemis, Cluentius devait trembler d’effroi, deviendra pour ce malheureux, battu par tant d’orages, un port et un refuge assuré. Quoiqu’il se présente à ma pensée une foule de réflexions sur les dangers de la prévention en général, réflexions que je devrais exposer avant d’entrer en matière ; cependant, pour ne pas tenir plus longtemps vos esprits dans l’attente, j’arrive à la discussion du fait, en vous adressant une prière que j’aurai besoin de renouveler souvent : c’est de m’écouter comme si cette cause était aujourd’hui plaidée pour la première fois, et non comme si elle avait été souvent défendue et toujours condamnée. Eh ! c’est vraiment aujourd’hui la première fois qu’il nous est donné de pouvoir réfuter une calomnie accréditée depuis si longtemps : jusqu’à ce jour l’erreur et la haine ont seules triomphé dans ce malheureux procès. Ainsi, pendant que je répondrai clairement et en peu d’instants à une accusation qui dure depuis tant d’années, je vous supplie, juges, de me prêter, comme vous l’avez fait jusqu’ici, une oreille attentive et favorable.
IV. Aulus Cluentius a, dit-on, acheté d’un tribunal corrompu la condamnation d’Oppianicus, innocent, mais son ennemi. Or, citoyens, puisque la source d’une si violente animosité est cette corruption mise en œuvre pour opprimer