Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/463

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pourtant avait été son gendre, surprend les tablettes, efface de sa main plusieurs dispositions ; et après la mort de Dinéa, pour que cet acte ainsi défiguré ne serve point à le confondre, il le transcrit sur de nouvelles tablettes, et le scelle avec de faux cachets. J’omets à dessein bien d’autres horreurs. Je crains même d’en avoir déjà trop étalé à vos regards. Vous devez penser qu’un tel homme ne se démentit point dans le reste de sa conduite. Les décurions prononcèrent unanimement qu’il avait altéré à Larinum les registres du cens. Personne ne voulait plus avoir avec lui aucun rapport d’intérêt ni d’affaires ; de tant de parents et d’alliés, pas un ne le donna jamais pour tuteur à ses enfants. Personne ne voulait l’aborder, le saluer, s’entretenir avec lui, l’inviter à sa table ; tous le repoussaient, tous l’abhorraient, tous le redoutaient comme une peste effroyable, et le fuyaient comme une bête féroce. Cependant cet homme si audacieux, si pervers, si coupable, jamais Cluentius ne l’aurait accusé, s’il avait pu se taire sans exposer sa vie. Oppianicus était son ennemi ; mais il était son beau-père. Sassia était cruelle et acharnée à sa perte ; mais elle était sa mère. Enfin, rien de plus opposé au caractère de Cluentius, à son goût, aux habitudes de sa vie, que le rôle d’accusateur. Mais, placé dans l’alternative d’intenter une juste et légitime accusation, ou de périr d’une mort indigne et malheureuse, il aima mieux accuser, malgré sa répugnance, que de livrer sa tête à la merci de ses bourreaux.

Pour vous convaincre de ce que j’avance, je vais vous montrer la scélératesse d’Oppianicus prise en flagrant délit. L’attentat qu’il consommait vous prouvera deux choses : que l’un dut nécessairement accuser, et que la condamnation de l’autre était inévitable.

XV. Il y avait à Larinum, sous le nom de Martiaux, des serviteurs publics de Mars, consacrés par la religion et les anciennes institutions du pays au culte de ce dieu. Ils étaient en assez grand nombre ; et, semblables à cette foule d’esclaves attachés en Sicile au service de Vénus, ils formaient en quelque sorte à Larinum la maison du dieu Mars. Tout à coup Oppianicus se met à soutenir qu’ils sont tous libres et citoyens romains. Les décurions de Larinum et tous les habitants en sont indignés. Ils prient Cluentius de se charger de cette cause et de la défendre devant les tribunaux. Cluentius avait toujours évité ces sortes de débats. Cependant le rang distingué de sa famille, l’ancienneté de sa maison, la pensée qu’il devait à ses amis et à ses concitoyens le sacrifice de son repos, ne lui permirent pas de se refuser aux vœux unanimes d’une ville entière. Il se charge de la cause et la porte à Rome, où la chaleur de l’attaque et de la défense excitait chaque jour entre les deux adversaires de violents démêlés. Oppianicus était d’un naturel farouche et barbare ; une mère, implacable ennemie de son fils, allumait de plus en plus sa fureur : tous deux croyaient avoir le plus grand intérêt à ôter de ses mains la cause qu’il soutenait. Un autre motif agissait encore plus puissamment sur l’âme avare et audacieuse d’Oppianicus. Cluentius n’avait fait jusqu’à l’époque de ce procès aucun testament. Il ne pouvait prendre sur lui de faire