Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/47

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portée par eux au plus haut degré de puissance et de gloire. Ils travaillaient à cultiver leurs terres, et leur cupidité n’envahissait pas les possessions des autres. C’est en suivant ces principes d’honneur et de vertu, qu’ils ont ajouté à notre empire un si grand nombre de domaines, de cités et de nations.

Je ne prétends point ici établir aucune comparaison ; je veux montrer seulement que, si jadis, au milieu des soins du gouvernement, au milieu des devoirs que leur imposait sans cesse la république, ces grands citoyens donnaient une partie de leur temps aux travaux du labourage, on doit pardonner à un homme d’avouer qu’il est cultivateur, quand il a toujours vécu aux champs, quand surtout il ne pouvait rien faire qui fût plus agréable à son père, plus conforme à son goût, et en effet, plus honnête.

Ainsi donc, Érucius, ce qui prouve la haine implacable du père contre son fils, c’est qu’il souffrait que ce fils vécût à la campagne. Avez-vous quelque autre preuve ? Oui, dites-vous. Il avait dessein de le déshériter. J’entends : ceci du moins est relatif à la cause ; car je ne m’arrête pas à ces autres reproches que vous avouez vous-même frivoles et insignifiants. Il n’accompagnait son père à aucun festin. Je le crois : il ne quittait presque jamais les champs. — Personne ne l’invitait à manger. — Rien d’étonnant : il ne vivait pas à Rome, et la réciprocité ne pouvait avoir lieu.

XIX. Vous sentez vous-même la futilité de ces objections. Ce que vous ajoutez est peut-être la plus forte preuve de haine qu’on puisse alléguer : le père avait résolu de déshériter son fils. — Je ne demande pas pourquoi ; je demande comment vous le savez. Toutefois il aurait fallu nous déduire les motifs d’une résolution aussi violente. En formant une accusation de ce genre, votre devoir était de détailler tous les vices du fils, d’énumérer toutes les fautes qui ont irrité le père au point d’étouffer la nature, d’effacer de son cœur cet amour gravé en traits si profonds, d’oublier enfin qu’il était père : ce que je crois impossible, à moins que le fils ne l’y ait contraint par les torts les plus impardonnables.

Votre silence prouve que ces motifs n’existent pas. Je n’exige point que vous les produisiez. Au moins devez-vous démontrer qu’il a voulu le déshériter. Quelles sont vos preuves ? La vérité vous manque. Inventez quelque chose de vraisemblable, et n’affectez pas d’insulter sans pudeur au sort de ce malheureux, et à la majesté de vos juges. Roscius a voulu déshériter son fils ! pour quelle raison ? — Je l’ignore. — L’a-t-il déshérité ? — Non. — Qui l’en a empêché ? — Il en avait l’intention. — À qui l’a-t-il dit ? — À personne. Accuser ainsi, reprocher une chose qu’on ne peut pas prouver, qu’on n’essaye pas même de rendre probable, n’est-ce pas abuser de la justice, des lois, des tribunaux, pour servir son intérêt et sa cupidité ? Nous savons tous, Érucius, qu’il n’existe aucune haine entre Sextus et vous. Personne n’ignore pourquoi vous vous faites son accusa-