Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/493

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cependant, Attius, je vous ferai en peu de mots une réponse qui ne touche en rien à sa cause ; car si, dans ce débat, Cluentius a ses intérêts, j’ai aussi les miens. Il se fait un point d’honneur d’être défendu par l’exposé des faits, et non par les termes de la loi ; et moi, je m’en fais un de ne paraître en aucune discussion vaincu par Attius. Cette cause en effet n’est pas la dernière que je doive plaider. Mes services appartiennent à quiconque estime assez mon talent pour y avoir recours. Je ne veux pas qu’aucun de ceux qui m’écoutent puisse conclure de mon silence que j’approuve ce qu’Attius a dit au sujet de la loi. Ainsi, Cluentius, pour ce qui vous regarde, je vous obéis ; je ne lis pas la loi ; ce n’est pas pour vous que je parle en ce moment. Mais l’attente publique m’impose des devoirs que je ne veux pas trahir.

LV. Il vous paraît injuste, Attius, que les lois n’obligent pas également tous les citoyens. D’abord, en supposant que ce fût la plus grande de toutes les injustices, ce serait une raison pour désirer le changement de ces lois, et non pour leur désobéir. Ensuite, quel sénateur s’est jamais plaint que la loi lui ait imposé des obligations proportionnées au haut rang où l’a placé la faveur du peuple romain ? Que d’avantages dont nous sommes privés ! que de traverses et d’embarras nous assiègent de toutes parts ! Mais nous trouvons un noble dédommagement dans les distinctions sociales, et les prérogatives de la grandeur. Imposez les mêmes sacrifices à l’ordre équestre et aux autres classes de citoyens : ils ne les supporteront pas. Ceux qui n’ont pas eu les moyens ou l’ambition de s’élever aux premières dignités de l’État, se croient libres des conditions qu’elles imposent, et pensent que les lois doivent avoir pour eux moins de chaînes, et la justice moins de terreurs. Et, sans parler des autres lois qui nous obligent et n’obligent pas le reste des citoyens, je me borne à celle qui a pour objet la prévarication dans les jugements ; c’est C. Gracchus qui en est l’auteur, et C. Gracchus l’a fait rendre en faveur du peuple et non contre le peuple. Sylla, dans la suite, tout ennemi qu’il était de la cause populaire, Sylla, en réglant, par la loi même qui régit cette procédure, la poursuite de ce genre de délits, n’osa pas mettre le peuple romain sous l’empire d’une loi dont il avait été jusqu’alors affranchi. S’il avait cru pouvoir le faire, fidèle à sa haine pour l’ordre équestre, il n’aurait pas manqué sans doute d’armer ce nouveau tribunal de toute la rigueur qu’il avait déployée, dans les proscriptions, contre les anciens juges. Aujourd’hui même (daignez m’en croire et ouvrir les yeux sur les pièges qu’on vous tend), aujourd’hui même on n’a pas d’autre but que de jeter aussi les chevaliers dans les périls dont cette loi menace tous ceux qu’elle concerne. Cette intrigue, il est vrai, n’est l’ouvrage que d’un petit nombre. Ceux des sénateurs à qui leur propre innocence inspire comme à vous, je le dirai sans feinte, et à tous ceux dont la vie fut pure et désintéressée, une noble et juste sécurité, ceux-là, dis-je, ne demandent qu’à vivre en bonne intelligence avec un ordre dont la dignité touche de si près à celle du sénat. Mais il en est qui veulent avoir pour eux tous les privilèges, sans que nul ordre, nul citoyen puisse en conserver aucun ; et ils pensent que la crainte leur asservira sans