Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/494

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retour les chevaliers romains, s’il est une fois décidé que quiconque aura siégé dans un tribunal sera soumis à une responsabilité si périlleuse. Ils voient s’affermir de jour en jour l’autorité de cet ordre ; ils voient ses arrêts confirmés par l’opinion publique : ils espèrent, en vous intimidant, émousser le glaive de votre sévérité. Quel juge osera prononcer avec une fermeté impartiale contre un accusé riche et en crédit, lorsqu’une accusation de cabale ou de prétendue collusion pourra le traîner à son tour devant les tribunaux ?

LVI. Honneur à ces généreux chevaliers romains qui résistèrent aux prétentions d’un homme illustre et puissant, M. Drusus, tribun du peuple, lorsque, de concert avec toute la noblesse, il ne voulait rien moins que soumettre quiconque eût été juge, à ces poursuites inquiétantes. Alors C. Flavius Pusio, Cn. Titinnius, C. Mécénas, ces colonnes du peuple romain, et d’autres membres de cet ordre illustre, ne crurent pas, comme fait aujourd’hui Cluentius, qu’une exception fondée sur la loi compromît leur honneur. Ils résistèrent ouvertement. Ils récusaient cette nouvelle jurisprudence ; ils disaient publiquement avec une noble et courageuse hardiesse, « qu’ils auraient pu, honorés des suffrages du peuple romain, monter au plus haut rang, s’ils avaient mis leur ambition à demander les honneurs ; qu’ils avaient vu quel éclat, quelle splendeur, quelle dignité environne les grandes places ; que, sans mépriser tant d’avantages, ils s’étaient contentés de leur rang et de celui de leurs pères ; que cette vie calme et paisible, à l’abri des orages de l’envie et des accusations de la haine, avait eu pour eux plus de charmes. Il fallait, disaient-ils encore, les ramener à cet âge où l’homme, dans sa force, peut briguer les honneurs ; ou, puisqu’on ne fait point rétrograder la vie, leur laisser une tranquillité à laquelle ils avaient sacrifié l’espoir de leur élévation. Il était injuste que des hommes qui avaient renoncé à l’éclat des dignités, pour en éviter les écueils, fussent à la fois privés des faveurs du peuple romain, et en butte aux rigueurs de ces nouvelles procédures. Un sénateur ne pouvait pas se plaindre de subir des conditions qu’il connaissait avant de solliciter les magistratures ; il avait d’ailleurs pour s’en dédommager de brillantes compensations, un rang distingué, la splendeur et la considération au dedans, un nom puissant et respecté chez les nations étrangères, la toge bordée de pourpre, la chaise curule, les faisceaux, le commandement des armées, le gouvernement des provinces : éclatantes récompenses de la vertu, à côté desquelles nos ancêtres ont placé quelques dangers pour effrayer le crime. » Ces illustres chevaliers ne récusaient pas l’autorité de la loi alors appelée Sempronia, maintenant Cornélia, aux termes de laquelle on accuse aujourd’hui Cluentius : ils savaient qu’elle n’était point applicable à l’ordre équestre ; mais ils ne voulaient point se laisser enchaîner par une loi nouvelle. Pour Cluentius, il n’a pas même refusé de rendre compte de ses actions d’après une loi qui ne le concernait pas. Si vous croyez que ce soit une justice, réunissons nos efforts pour soumettre au plus tôt tous les ordres de l’État à cette responsabilité.

LVII. Cependant, au nom des dieux immortels, puisque tous nos intérêts, nos droits, notre liberté, notre sûreté, sont fondés sur les lois, gar-