Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/506

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dangereuse est venue le surprendre ; et, en cet état, il n’est pas moins inquiet du sort de son ami que de sa propre vie. La déposition de Cn. Tudicius, et l’éloge qui l’accompagne, montrent dans cet illustre et vertueux sénateur les mêmes sentiments. C’est avec non moins d’espoir que je vous invoquerais, P. Volumnius ; mais je dois me taire : vous êtes un de nos juges. Je ne dirai plus qu’un mot : rien n’égale les vœux ardents que forment pour Cluentius tous les habitants de la contrée, tous, sans en excepter aucun.

Cette sollicitude et ce zèle empressé de tout un peuple, mon propre dévouement dans une cause où, suivant l’ancien usage, vous n’avez entendu que moi d’orateur, votre équité même, juges, et votre clémence, une seule ennemie, une mère, veut triompher de tout. Mais quelle mère, grands dieux ! une femme égarée par le délire du crime et les transports d’une aveugle rage ; une femme dont jamais la honte n’enchaîna pour un moment les désirs impudiques ; une femme dont l’âme dépravée a perverti, par le plus criminel abus, toutes les lois de la nature ; un monstre de folie, de violence, de cruauté, qui a renoncé tout à la fois et à l’espèce humaine, et à son sexe, et au doux nom de mère. Et, non contente d’avoir dénaturé l’être qu’elle reçut, elle a confondu tous les noms et tous les rapports de famille ; femme de son gendre, marâtre de son fils, rivale de sa fille ; enfin elle a poussé la dégradation au point de n’avoir rien gardé d’humain que la figure. C’est pourquoi, citoyens, si vous détestez le crime, écartez la main qu’une mère brûle de tremper dans le sang d’un fils ; donnez à cette mère le cruel déplaisir de voir celui qu’elle enfanta, sauvé et triomphant ; osez lui refuser la joie de n’avoir plus de fils, et souffrez plutôt qu’elle sorte vaincue de cette lutte sacrilège. Mais si, fidèles à votre généreux caractère, vous chérissez l’honnêteté, la bonté, la vertu, tendez à votre suppliant une main secourable, et mettez fin aux périls dont l’environne depuis tant d’années une injuste prévention. Depuis qu’un crime et des passions étrangères ont allumé contre lui ce fatal incendie, c’est aujourd’hui pour la première fois que, rassuré par votre justice, il sent renaître son courage et se calmer un instant ses terreurs. Tout son espoir repose sur vous. Beaucoup défient son salut ; vous seuls pouvez le sauver. Cluentius vous en supplie, il vous en conjure les larmes aux yeux : ne l’immolez pas aux préventions de la haine, qui doivent se taire devant la justice ; ne l’immolez pas à une mère dont vous devez repousser avec horreur les prières impies et les vœux parricides ; ne l’immolez pas à Oppianicus, c’est-à-dire, à un criminel condamné et dont la mort a fini les destins.

LXXI. Que si un malheur inattendu tombe aujourd’hui sur sa tête innocente, et qu’il ait le courage de garder la vie, oui, juges, on entendra plus d’une fois cet infortuné se plaindre amèrement que le poison de Fabricius ne soit pas jadis parvenu jusqu’à lui. Si le complot ne lui eût pas alors été révélé, ce breuvage mortel, ou plutôt ce remède bienfaisant, l’eût sauvé des maux innombrables qui ont accablé sa vie. Peut-être même sa mère accompagnant la pompe de ses funérailles, aurait feint de pleurer la perte d’un fils. Maintenant qu’aura-t-il gagné en échappant aux embûches où il a failli de laisser sa vie ? des jours condamnés aux larmes, une mort qui ne